Upvd : pourquoi poursuivre l’abattage inutile des requins ?

Sur la base de ce qui se fait sur terre avec les tigres en Inde ou les lions en Afrique, Éric Clua, vétérinaire, directeur d’étude Ephe – Psl (Criobe Usr3278, Ephe-Psl/Cnrs/Université de Perpignan Via Domitia) et spécialiste des requins, vient de publier un article scientifique prônant un retrait très sélectif des requins dont on aurait la preuve qu’ils ont effectivement mordu l’Homme, épargnant de fait tous les autres requins qui sont aujourd’hui inutilement tués.

Le financement de cette étude a été assuré, partiellement, par le LabEx CORAIL1, à travers une bourse d’accueil dont a bénéficié le Dr Carl Gustave Meyer (Université de Hawaï).
Une Nouvelle-Calédonie triomphante vient d’annoncer le 18 juin que les autorités locales avaient capturé deux requins tigre suite à la découverte du cadavre d’un véliplanchiste disparu2, qui portait des traces de morsures de cette espèce. Premièrement, cette espèce de requin est réputée pour se nourrir sur des cadavres et rien ne prouve que ces morsures n’étaient pas post-mortem. Deuxièmement, quand bien même cette mort serait l’œuvre direct d‘un requin tigre ayant mordu un véliplanchiste bien vivant, les campagnes de pêche aveugles sont inappropriées.

Étant donné leur rareté et imprévisibilité, il est quasiment impossible de démontrer l’efficacité de ces campagnes aveugles, l’inexistence de morsures à court terme pouvant être simplement liée au hasard. En revanche, il est aisé de démontrer leur inefficacité à long terme. Malgré les déclarations (indéniablement suspectes de parti-pris) de certains scientifiques en faveur de ces pêches, l’exemple de La Réunion est probant.

Suite à cinq morsures fatales en trois ans (2011-2013), des pêches initiées en 2013-2014 ayant éliminés des centaines de requins, n’ont pas empêché six morsures fatales au rythme de deux tous les deux ans (2015, 2017, 2019). Où est l’efficacité ? Dans l’hypothèse (indémontrable) que sans ces pêches, il y aurait eu plus de morts ? Pure conjecture… Et donc : que faire pour gérer efficacement et de façon écoresponsable les morsures fatales sur l’Homme dans des contextes comme La Réunion ou la Nouvelle-Calédonie ? La réponse scientifique la plus aboutie : le profilage génétique individuel des requins (Progenir) préconisé depuis plusieurs années par Éric Clua, aujourd’hui rejoint par trois autres scientifiques de premier rang, à savoir le français Serge Planes (Cnrs), éminent généticien, le norvégien John Linnell (Niwa), spécialiste des conflits Homme-Faune sauvage, et l’américain Carl Meyer (Université de Hawaii), spécialiste du comportement des grands requins.

Taxé jusqu’à aujourd’hui d’irréaliste, cette approche est maintenant validée scientifiquement par un article récemment publié dans Journal of Ocean and Coastal Management (Elsevier) (Clua et coll. 2020). Résumée sur le schéma ci-contre, cette approche suggère deux axes parallèles et complémentaires : tout d’abord prélever l’ADN du requin mordeur sur les victimes afin d’identifier, non pas l’espèce, mais l’individu au sein de l’espèce de requin (profilage génétique individuel sur l’ADN nucléaire). Ensuite, organiser un accès récurrent à un maximum d’individus de la population de requin hébergeant cet « individu à problème »3, permettant de prélever leur ADN (pour un profilage individuel systématique) et d’être en mesure de les identifier visuellement ou à l’aide de tags afin de pouvoir les retrouver. Il suffirait ensuite de croiser les informations entre ADNs pour identifier les « individus à problème » et les retirer chirurgicalement de l’écosystème le moment venu, même si c’est plusieurs mois après l’incident.

Sachant qu’il y a une très forte probabilité que ce soit le ou les mêmes requins qui mordent l’Homme à plusieurs reprises3… Et non : cela ne coûterait pas plus cher au contribuable d’en passer par là, au contraire. Et cela pourrait réconcilier l’Homme avec les requins en focalisant les problèmes de morsure de prédation sur quelques rares individus, comme c’est le cas pour les tigres terrestres en Inde qui tuent des dizaines d’Hommes tous les ans, sans être tous perçus sans exception, comme leurs lointains cousins aquatiques, tels de vulgaires animaux instinctifs assoiffés de sang.

Référence de l’article :
Clua E.E.G, Linnell J.D.C., Planes S. and C.G. Meyer (2020). Selective removal of problem individuals as an environmentally responsible approach for managing shark bites on humans. Journal of Ocean and Coastal Management. 194 (2020) 105266. https://t.co/DFRkFjeVFD?amp=1

1. https://www.labex-corail.fr/
2. https://www.lnc.nc/breve/deux-requins-tigres-preleves-a-noumea

3. Clua, E. G. and Linnell, D. C. (2018). Individual shark profiling: an innovative and environmentally responsible approach for selectively managing human fatalities. Conservation Letters. DOI : 10.1111/conl.12612.

À propos de l’Ephe
L’École Pratique des Hautes Études (Ephe) est un établissement d’enseignement supérieur et de recherche de renommée internationale. La spécificité de l’établissement réside dans sa méthodologie de formation par la recherche et dans des enseignements originaux, associant un degré de spécialisation important. Dans le cadre de l’Université Psl, l’Ephe délivre le master, le doctorat et l’habilitation à diriger des recherches. Elle prépare aussi à ses diplômes propres : diplôme de l’Ephe et diplôme post-doctoral.
3 sections :
– Sciences de la vie et de la terre
– Sciences historiques et philologiques
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2 200 étudiants et auditeurs dont 600 doctorants
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Le Criobe
Le Criobe (www.criobe.pf) est l’un des plus éminents laboratoires français pour l’étude des écosystèmes coralliens. Le Criobe est un laboratoire de recherche regroupant plus de 80 personnes, dont des professeurs universitaires, des chercheurs et du personnel technique et administratif de trois des plus grandes institutions de recherche en France : l’École Pratique des Hautes Études (Ephe), le Centre National de la Recherche Scientifique (Cnrs) et l’Université de Perpignan Via Domitia (Upvd) – qui forment ensemble l’unité de recherche Criobe Usr 3278. Le Criobe relève de la prestigieuse Université Psl.

Le Cnrs
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L’Université de Perpignan Via Domitia (www.univ-perp.fr) est une université pluridisciplinaire de 9 500 étudiants et 450 enseignants-chercheurs qui s’illustre par la variété et la richesse de ses formations et activités de recherche, en particulier dans le domaine de l’environnement et du développement durable. Elle est composée de 4 facultés, 3 instituts, 1 école d’ingénieurs et 16 laboratoires de recherche avec 7 labex, 1 equipex et un incubateur d’entreprises. L’université de Perpignan est située sur 7 sites de formation et de recherche (Perpignan, Le Barcarès, Font-Romeu, Tautavel, Narbonne, Carcassonne, Mende).