Une autre plage d’un autre débarquement…

 

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Je suis un fils d’émigré espagnol et ceci est un bout de notre histoire.

Après la chute de Barcelone durant  la guerre civile espagnole, l’épisode de la retirada constitue l’exode massif des républicains espagnols qui traversèrent la frontière pour trouver asile en France.  Fuyant les répressions du régime fasciste de Franco, c’est une population d’un demi million de personnes épuisées et terrorisées qui, parcourant des centaines de kilomètres le plus souvent à pied, viennent trouver refuge en France. En ce début d’année 1939 une marée humaine de plus de 300.000 personnes vont s’échouer dans le Roussillon. La pression qu’allait exercer le soudain doublement de la population des Pyrénées Orientales obligea les autorités françaises à canaliser dans l’urgence cet afflux de réfugiés dans des camps improvisés.

Ceci est le récit que ma mère a fait de cet épisode, vécu par mon grand-père. Oublier c’est donner la possibilité à d’autres de récrire l’histoire.

 » Là sous le froid glacial et une tramontane violente, ils se retrouvèrent sans le moindre abri, face à la mer, entourés de barbelés et gardés par des tirailleurs Sénégalais. Ceux-ci, dès qu’ils faisaient mine de s’approcher de ces barbelés, les repoussaient, l’air menaçant en criant « allez, allez …».

On se retrouvait en donnant son nom et sa région qui circulait de groupe en groupe. On faisait du feu, avec les bois trouvés sur la plage, en s’abritant comme on pouvait de la tramontane, avec une couverture tendue sur les roseaux, on creusait le sable pour améliorer ces abris mais si l’on allait un peu trop profond c’est l’eau qui surgissait. Beaucoup de blessés et de malades ne survécurent pas à ces terribles premières journées.

Par la suite on s’organisa, le matériel arriva et on construisit des baraquements en planches. C’était loin d’être le confort mais au moins on n’était plus exposé aux vents. Il y eu des repas puis une infirmerie avec des médecins, car la dysenterie, la gale et les poux, ainsi que d’autres misères s’étaient développés à une vitesse foudroyante.

Papa nous expliqua en riant l’un des effets de l’incompréhension. Beaucoup étant enrhumés allaient à l’infirmerie, se plaignant en Espagnol : Estoy constipado. Ce qui était ainsi traduit : je suis constipé  et le malheureux se retrouvait aussitôt purgé, ce qui n’arrangeait pas son état général. Ce qui sapait beaucoup le moral de tous ces malheureux, c’était les hauts parleurs qui clamaient, à longueur de journée en espagnol : « Pourquoi souffrir ici, alors que chez vous vous seriez si bien. Si vous n’avez pas de sang sur les mains, Franco vous ouvrira les bras, vous retrouverez vos maisons, vos parents, votre sol. Votre patrie vous attend. »

Au début, chacun huait dès que la voix se faisait entendre, mais petit à petit, insidieusement ce discours faisait son chemin et quelques uns partaient. Parmi eux, Moïses, le cousin de papa. Il était malade de dysenterie et déprimé, tous les siens étaient restés en Espagne. Bien que méfiant, il se laissa convaincre et décida de retourner au pays et malgré les exhortations de papa il quitta le camp. Là, sitôt arrivé, il fût emprisonné pendant cinq longues années, durant lesquelles il subit les pires humiliations.

Dans le camp jouxtant le leur ; séparés simplement par des barbelés, femmes et enfants essayaient de survivre dans les mêmes atroces conditions… Beaucoup n’y réussirent pas. Ce terrible hiver 1939 décima bon nombre d’entre eux ! Malgré le désespoir de leur séparation au Perthus, papa était soulagé de savoir les membres de sa famille loin de cet enfer, car il se disait que là où ils étaient cela ne pouvait être que mieux. Néanmoins, papa et mes oncles s’en tirèrent sans grands dommages et réussirent avec la venue du printemps à se débarrasser des poux et de la gale… Avec l’arrivée du beau temps le moral fut meilleur. Chacun s’évertuant de rendre ce séjour plus supportable. Le camp d’Argelès tout entier était devenu une énorme brocante, ou l’on troquait  et négociait tous  les objets de valeur que les réfugiés possédaient. Ainsi ces gentils mécènes achetaient montres, bijoux, œuvres d’art à des prix très avantageux ! Bientôt papa se retrouva seul. Son frère Luis put quitter le camp d’Argelès se rappelant que dans sa jeunesse aventureuse il avait travaillé dans le vignoble du mas Amiel près de Maury. Il y fut aussitôt repris, logé et il put ainsi réclamer ses filles Luisa et Nieves qui étaient à Auxerre avec notre mère. Puis son beau-frère Julian fut envoyé du coté de Tarbes et lui peu de temps après se retrouva au camp de Bram dans l’Aude. Papa, avec un groupe d’une dizaine d’agriculteurs aragonais avec qui il avait très vite fraternisé, fut expédiés dans le Cher. Voulant à tout prix sortir du camp, ils avaient sollicité de travailler la terre dans n’importe quel endroit pourvu que ce fut vite. »