Ces couleurs sang & or, d’où viennent-elles ?

Le sommet du Castillet de Perpignan
Les couleurs sang & or au sommet du Castillet (Photo © Le Journal Catalan).
Les couleurs sang & or au sommet du Castillet (Photo © Le Journal Catalan).

Elles sont partout. Au sommet de notre Castillet, sur les écussons de nos rugbymen, au fronton de nos bâtiments administratifs. Les couleurs sang & or. Sur les véhicules de notre Conseil Départemental, ce sont quatre traces de doigts ensanglantés orientés vers le haut, à droite, dans un carré d’or. Ces belles couleurs méritent bien une petite recherche.

L’héraldique – l’étude des armoiries – nous apprend que le blason des Pyrénées-Orientales est « d’or à quatre pals de gueules », c’est à dire jaune à quatre bandes verticales rouges.

La légende contant l’origine de ces couleurs nous dit que le roi Charles II le Chauve (823-877), petit-fils de Charlemagne, se serait rendu sous la tente d’un courageux vassal à l’agonie, Guifred le Velu (Guifré el Pilós) (c.840-897), – considéré comme le premier comte de Catalogne –. Guifred le Velu venait de se battre en duel contre un rival Franc nommé Salomon, lequel aurait traîtreusement assassiné Sunifred, le père de Guifred.

Cette légende nous dit aussi que, près de la couche de Guifred, se serait trouvé un bouclier d’or. Charles le Chauve lui aurait demandé avant son trépas ce qu’il désirait, et Guifred aurait répondu qu’il souhaitait… un signe d’unification pour son peuple.

Charles le Chauve aurait alors trempé ses doigts dans la plaie béante de Guifred et tracé de ses quatre doigts ensanglantés des bandes verticales sur le bouclier doré (« passant després quatre dits per damunt de l’escut daurat »), donnant ainsi à la Maison d’Aragon cette héraldique. Ce serait là l’origine des couleurs sang & or du drapeau catalan.

Dans la réalité, Guifred le Velu est mort au combat le 11 août 897, au siège de Lérida, en se battant contre le chef musulman Lubb ibn Muhammad, et il est enterré au monastère Sainte-Marie à Ripoll. On notera aussi qu’à la mort de Guifred, Charles II le Chauve, était déjà décédé depuis vingt ans.

Claudi Lorenzale i Sugrañes (1816-1889) – ‘Mort de Guifré el Pelós’ (ca. 1843). Source : Reial Acadèmia Catalana de Belles Arts de Sant Jordi.
Claudi Lorenzale i Sugrañes (1816-1889) – ‘Mort de Guifré el Pelós’ (ca. 1843). Source : Reial Acadèmia Catalana de Belles Arts de Sant Jordi.

Une reprise des couleurs de la Rome Antique

Alors que Guifred le Velu vécut au IXème siècle, les signes distinctifs à l’origine des blasons n’apparaissent qu’aux XIème et XIIème siècle et les couleurs catalanes ne se dévoilent pour la première fois qu’en 1150 sous le règne de Ramon-Bérenguer IV. Elles ne sont en définitive qu’une reprise toute simple des couleurs de la Rome Antique, couleurs qui furent également adoptées par la papauté.

Une autre version de la légende veut que Guifred venge son père Sunifred lâchement assassiné par un Franc nommé Salomon qui devient comte à sa place. Guifred tue Salomon à l’issue d’un duel ; c’est lui, cette fois-ci, qui trempe ses doigts dans la blessure du Franc en traçant ensuite sur son écu d’or les quatre barres rouges. Guifred aurait par la suite repoussé les Sarrasins jusqu’à l’Ebre et Charles le Chauve aurait reconnu la succession héréditaire du comté de Barcelone en 877. La création du blason catalan serait donc le fruit du courage de Guifred, premier comte de Barcelone, originaire de Ria en Conflent.

C’est en 1551 seulement que cette histoire est rapportée pour la première fois dans la chronique (Crónica general de España) de Pere Antoni Beuter (1490-1554). Il est plus que probable que ce soit lui-même qui l’ait bâtie de toutes pièces. Et il y a de fortes chances pour qu’il se soit inspiré d’une autre légende créée un siècle plus tôt par Hernan Mexia donnant son explication de l’origine des armoiries de Fernández de Córdoba.

Au fil du temps, les rois protagonistes de cette légende changent. Il est question non seulement de Charles II le Chauve mais aussi de Louis Ier dit « le Pieux » puis de Louis II le Bègue. Charlemagne (742-814) est même évoqué. On ne compte pas moins de sept versions différentes. Cette légende des quatre barres de sang connaît cependant un grand succès. Elle est colportée par les historiens ultérieurs jusqu’à être réduite à néant en 1812 par l’historien catalan Joan Sans Barutell qui met en lumière toutes les incohérences du récit. Mais cela n’empêche nullement la légende, trop belle, de perdurer.

Les couleurs de Perpignan. Ici, en haut du boulevard Jean Bourrat (Photo © Le Journal Catalan).
Les couleurs de Perpignan. Ici, en haut du boulevard Jean Bourrat (Photo © Le Journal Catalan).

On retrouve une histoire identique en Ecosse, dans laquelle il est dit que le roi Malcolm II plonge trois doigts dans le sang des blessés à l’issue d’une bataille, en 1010, et trace trois longues raies sur un bouclier. Depuis, le chef du clan Keith porte la même marque de trois lignes rouges sur son bras.

L’importance de l’idée de sacrifice

Mais toutes ces légendes ne survivent pas aujourd’hui sans raison ; elles incarnent des fantasmes sociaux et politiques et sont en fait de véritables discours idéologiques. Guifred est originaire de Ria et la revendication de la Catalogne du nord comme berceau de toute la Catalogne ne peut qu’en être renforcée. Guifred étant le premier comte autochtone nommé à Barcelone, il est également le fondateur d’une dynastie de comtes catalans. De quoi en faire un héros fondateur de la « nation » catalane. Bref, quelqu’un « d’ici ».

La naissance de ce drapeau a donc une source glorieuse et la reconnaissance royale rejaillit ainsi sur tout le « peuple catalan ». Cette attitude reconnaissante du roi franc vis-à-vis de son vassal reproduit le lien entre l’état français et l’identité catalane, lien mêlant indépendance et soumission. Cette légende incarne au mieux la situation des Catalans de France installés dans une double identité fidèle à son particularisme et au pouvoir central. L’adversaire est ici soit un ennemi extérieur, soit un traître, ce qui démontre que la Catalogne doit lutter contre l’extérieur pour s’affirmer.

Ce logo qui est une déclinaison du blason des P.O., a été adopté en 1999 et est la propriété © du Conseil Départemental des Pyrénées-Orientales.
Ce logo qui est une déclinaison du blason des P.O., a été adopté en 1999 et est la propriété © du Conseil Départemental des Pyrénées-Orientales.

La notion de couleur rouge disparaît peu à peu en faisant place au mot « sang » (‘sanch’ en catalan). Sur le logo ci-contre, ce ne sont plus des pals verticaux mais bien des traces de doigts ensanglantés révélant l’importance de l’idée de sacrifice. Et le sang c’est aussi l’idée de l’Esprit Saint qui est véhiculée ainsi dans une population très ancrée dans le catholicisme.

« Sang et or ». L’or ici évoque un territoire baigné de lumière, de chaleur et de richesses. Rouge et jaune. Les deux couleurs sont des couleurs solaires idéales pour évoquer des pratiques et des institutions liées au monde masculin comme la tauromachie, le rugby, le clergé… Ainsi « sang et or » ne forment plus qu’un : dans l’expression elle-même « sang et or », – prononcée « sanquéor » -. Les deux tons sont ainsi indissociables.

 

Conseils de lecture : «Llegenda de les quatre barres de sang».

On pourra lire également les recherches de Laetitia Canal, professeur d’histoire géographie, docteur en Histoire à l’Université de Perpignan Via Domitia, intitulées «Senyera : le point sur l’emblème rayé sang et or des Catalans».

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