Qui a chanté l’Els Segadors hier soir?

L’historique qui mène au choix de l’Els Segadors comme hymne national officiel catalan explique bien des choses…

La Canço d’Els Segadors ou chanson des Moissonneurs, d’abord chant revendicatif des catalanistes, est l’hymne national officiel catalan depuis 1993.

Il est entonné lors de la Diada, chaque 11 septembre.DSC04510

Cette chanson des Moissonneurs fut inspirée d’une ancienne chanson populaire catalane du XVIIe siècle, sauf pour le refrain, plus précisément du 7 juin 1640.

La première version de 1892 par Francesc Alio a été dotée des paroles de l’écrivain Ernest Moliné i Brazes pour le « Bon con de Falç ».

Les paroles actuelles proviennent d’Emili Guanyavents et datent de 1899.

Pendant la guerre d’Espagne, le chant rallie les Catalans républicains ; il est interdit par la dictature franquiste.

Aujourd’hui, peut-on croire que l’estaca ou le pieu , composé en 1968 par Luis Llach, pendant la dictature franquiste et donc symbole de la lutte pour la liberté, qui incite avec Siset au passage de flambeau pour une prise de conscience collective et une action commune, aurait un lien avec le fait de ne pas aller jusqu’au bout de l’indépendance, par peur d’un évincement  de certains terrains ?

Est-ce la polémique qui a poussé à l’occasion du tricentenaire de la lutte, en 2014, le V de la victoire du 11 septembre, à reprendre la mélodie lettone de Martins Brauns,  « Saule, Perkons, Daugava- Le soleil, le tonnerre et la Daugava » ?

La Capella Reial de Catalunya aurait pu proposer le Concert des Nations de 1989, date symbolique de la chute du mur de Berlin qui concrétise aussi la fin de la Guerre Froide, si l’on ne pense pas à la sonde spatiale Voyager 2 survolant Neptune. Ce concert inspiré des  Nations de Couperin mettrait-il sur la même lignée Bleu de Zulawski avec The Song of the Unification of Europe de Zbignew Preisner et Tous les matins du monde, sous la direction de Jordi Savall qui a l’art de faire sortir de l’ombre le Siècle d’ Or et ses richesses baroques ?

https://www.youtube.com/watch?v=_lEubxn7Tec&list=RD_lEubxn7Tec&index=1

A côté du chant officiel, avant qu’il ne le devienne, il fallait compter sur la version créée en 1896 à Montserrat, lors d’une cérémonie de bénédiction du drapeau catalan, le cant de la Senyora, hymne de l’Orfeo Català ou Orphéon catalan ; sur un poème de Joan Maragall Gorina, mis en musique pour un choeur mixte, que ses descendants politiques appartenant au PSC auraient certainement aimé reprendre ensemble.

En fait, le chant catalan choisi exprime historiquement le soulèvement populaire catalan qui eut lieu de 1640 à 1652. Seuls l’arrêtèrent à première vue, la famine, la peste et finalement la décision de Philippe IV de se soumettre au respect des institutions catalanes.

Himne Nacional Catala ou Hymne National Catalan

drapeau-catalan

Paroles d’Els Segadors

Catalunya triomfant

Tornarà a ser rica i plena

Endarrara aquesta gent

Tan unfana i tan superba!

 

Bon cop de falç

Bon cop de falç, defensors dela terra

Bon cop de falç

 

Ara és hora segadors

Ara és hora d’estar alerta

Per quan vingui un altre Juny

Esmolem ben bé les eines!

 

Bon cop de falç

Bon cop de falç, defensors dela terra

Bon cop de falç

 

Que tremoli l’enemic

En veient la nostra ensenya

Com fem caure espigues d’or

Quan convé, segem cadenes

 

Bon cop de falç

Bon cop de falç, defensors de la terra

Bon cop de falç

 

 

Traduction française

Les Faucheurs

 

Catalogue triomphante

Redeviendra riche et abondante

En arrière ces gens

Si orgueilleux et si sûrs d’eux

 

De bons coups de faux

De bons coups de faux, défenseurs de la terre

De bons coups de faux

 

Maintenant, c’est l’heure, faucheurs!

Maintenant, c’est l’heure de faire attention

Pour quand reviendra un autre Juin

Aiguisons bien nos outils!

 

De bons coups de faux

De bons coups de faux, défenseurs de la terre

De bons coups de faux

 

 

Que l’ennemi tremble

En voyant notre étendard

Comme nous faisons tomber les épis d’or

Quand il le faut, nous coupons les chaînes

 

De bons coups de faux

De bons coups de faux, défenseurs de la terre

De bons coups de faux

 

Notons qu’à cette époque, Castillans et Autrichiens étaient contre la France.

La révolte des faucheurs ou Revolta dels Segadors s’organisa donc contre la décision de Philippe IV d’augmenter les taxes pour financer la Guerre de Trente Ans qui s’étendit de 1618 à 1648.

En mai 1640, à Saint Andreu de Palomar, on s’attaqua à la politique ultra centralisatrice du comte-duc d’Olivares, Gaspar de Guzman i Pimentel, conseiller de Philippe IV, qui cherchait à embrigader de force les Catalans dans cette affaire qui n’était pas la leur.

Ainsi, Pau Claris de La Generalitat dont il faut rappeler le patron Sant Jordi, terrassant le dragon, qui finit par être certainement empoisonné un mois après la dernière bataille du château, fut élevé en héros par les Catalans, ayant proclamé la République Catalane, le 17 janvier 1641, même si sa statue a été remplacée par celle de Fiveller.

Pau Claris avait effectivement fini par demander de l’aide à Louis XIII, par l’intermédiaire de Richelieu, qui donna son appui pour tenter d’instaurer la République Catalane.

Le 7 juin 1640, jour de la fête du « Corpus de Sang », où le vice-roi fut assassiné, fut celui de la libération du député Francesc de Tamarit retenu en prison, sur la place du blé, avec Francesc Joan de Vergos i de Sorribes et Lléonard Serra, deux du Conseil des Cent.

Malgré la défaite de Tarragone, la bataille de Montjuïc, le 26 janvier 1641, voit la victoire des Franco-Catalans sur les Espagnols, grâce notamment à la fortification exemplaire de la montagne de Montjuïc, avec son phare et ses neuf compagnies de miliciens de la Coronela et toutes les corporations représentées, avec les quatre cents hommes vaillants qui furent conseillés par les officiers Français, Louis XIII ayant été nommé par la Principauté de Catalogne, Comte de Barcelone, le 23 janvier 1641 .

Le 7 septembre 1640 avait également été signé le Pacte de Céret, d’alliance et d’aide militaire entre la France et la Catalogne.

Le jour de la victoire, à la fête de St Polycarpe de Smyrne, on instaura son apparition au-dessus de la porte du Couvent Santa Madrona et on érigea sa statue dans l’église St Just et Pastor. Il faut noter qu’en 801, un Temple roman fut édifié en l’honneur de ces saints et qu’en 1342, on érigea à la place une construction gothique, à l’époque des échanges commerciaux entre Constantinople et Barcelone où il est courant de trouver dans les fondations successives, un temple romain, une église paléochrétienne, une cathédrale romane et une cathédrale gothique.

La cathédrale dédiée à la Sainte Croix et à la martyre Eulalie dont le corps est enterré dans la crypte, avec les treize oies qui gardent le cloître, symbolisant peut-être l’âge auquel fut martyrisée Eulalie, semblerait purifiée par la fontaine d’eau bénite de Fiveller.

Plus loin, plaça Sant Felip Neri, lieu en quelque sorte d’immortalité car lieu de tournage du Parfum que Tykwer adapta de Süskind, mais également lieu de mémoire si l’on considère que le musée de la chaussure de l’ancienne confrérie des coordonniers avoisine cet espace terrible qui garderait encore sur l’église, les traces d’impact d’une bombe franquiste qui, en 1938, aurait tué 42 enfants , voit toujours ses enfants y jouer innocemment. On peut espérer que la Congrégation de Néri, qui était né à Florence en 1515 et mort à Rome en 1594,  Oratoire de l’Amour Divin les protège avec ses « Oratores » qui sont ceux qui prient ; même si la souffrance continue d’y être montrée et entendue comme par exemple, dans le clip My Immortal du groupe Evanescence…

Qui pourrait penser que derrière une simple chanson pourrait se cacher un certain antagonisme entre la Maison des Habsbourg et la Monarchie Française pour l’hégémonie européenne ?

Les « privilèges » catalans accordés par la monarchie castillaise et qui remonteraient à l’époque de Charlemagne, ont été perdus le jour où Philippe V, premier roi espagnol de la dynastie des Bourbons, se vengea de la coalition entre la Catalogne et l’archiduc Charles de Habsbourg, durant la guerre de succession d’Espagne au XVIIIe siècle, et par Décrets de Nueva Planta signés entre 1707et 1716, il rendit obligatoire, dans les comtés d’Aragon et de Valence, sauf pour le Val d’Aran, le Pays Basque et de Navarre, l’usage du castillan comme langue administrative , abolissant les Cortes Catalanes et le Conseil des Cent, supprimant les vigueries et divisant la Catalogne en douze corregimientos, sans oublier d’abolir les Lois des Indes, à la manière du pouvoir centralisateur instauré en France depuis François Ier.

Il faut encore ajouter que Philippe V renonçait ainsi à ses droits sur la Couronne de France pendant que les Habsbourg renonçaient aux leurs sur la Couronne d’Espagne.

Le second Traité des Taureaux de Guisando signé par les rois catholiques, s’il établissait la réunion des territoires sur la personne du roi, devait maintenir à chacun de ces territoires ses particularités juridiques et de gouvernement ; mais les modifications de la maison d’Autriche et l’incapacité à fonctionner comme puissance internationale, lors de la guerre de trente ans, ont  mis fin à la toute puissance espagnole et donc aux traités d’Utrecht, après la guerre de succession.

le Roi Louis XIV avait en plus instauré l’Edit interdisant officiellement , le 2 avril 1700, la langue catalane, justifiant que les « Sujets »  des «  Comtés et Vigneries de Roussillon et Conflans » […] « avec une partie du Comté de Cerdaigne », cédés par le « Traité de Paix des Pirennées » « se trouvent obligés d’envoyer leurs enfants  «  dans les villes de la domination d’Espagne, ce qui leur cause de grands frais. » Le Roi affirme alors : «  Nous avons jugé que pour remédier à ces inconvénients, il était à propos d’ordonner qu’à l’avenir toutes les Procédures et les Actes publics qui se feront dans les dits Païs, seront couchés en Langue Françoise. »

L’Ode à la Joie ou quatrième mouvement de la Neuvième Symphonie en ré mineur, Opus 125, de Beethoven, avec les paroles de Schiller, résonnera-t-elle dans dix-huit mois en entendant le retour de la langue catalane comme pour célébrer la fraternité des Flamands qui sont si fiers de leur suprématie économique et fustiger les Anglais qui ont essayé d’interdire le tartan, tissu dont on fait les kilts et la cornemuse?