Plastiques dans les fleuves : moins nombreux mais plus persistants

Dans un article publié le 2 juillet dans Science, le Dr. Lisa Weiss et ses collègues du Centre de formation et de recherche sur les environnements méditerranéens (Cefrem), un laboratoire commun à l’Université de Perpignan (Upvd) et au Centre National de la Recherche Scientifique (Cnre), associés à des chercheurs de plusieurs laboratoires1 de France et d’Espagne, réexaminent de façon critique les données existantes d’apports fluviaux en microplastiques et démontrent que les estimations antérieures ont été surestimées de deux à trois ordres de grandeur. Cette correction drastique rend ainsi inutile la nécessité d’un mystérieux « puits de plastique ».

Les plastiques constituent un problème majeur pour les écosystèmes naturels du monde entier et en particulier pour nos environnements marins et d’eau douce. Les fleuves sont considérés comme étant l’une des principales sources de pollution plastique, car on estime qu’ils déversent chaque année dans nos océans plusieurs millions de tonnes de plastique provenant notamment d’une mauvaise gestion des déchets terrestres. Le problème est que ces estimations des apports fluviaux de plastique sont dix à cent fois supérieures à la quantité de microplastiques dérivant à la surface des océans pour lesquels aucune augmentation notable n’a encore été observée. Se pose donc la question de la destination de tout ce plastique exporté par les fleuves ? Y a-t-il un « puits » séquestrant rapidement la majorité du plastique quelque part dans l’océan ? Les estimations faites à ce jour sont-elles correctes ?

Bien que surprenants et spectaculaires, ces résultats ne doivent en aucun cas conduire à sous-estimer le problème de la pollution plastique dans le milieu marin. En effet, réévaluant les temps de résidence des microplastiques à la surface des océans à travers leurs analyses, les chercheurs montrent également qu’ils sont susceptibles de flotter beaucoup plus longtemps que ce qui avait été estimé précédemment. Ce constat aggrave et prolonge, de fait, les effets néfastes de la pollution plastique sur les écosystèmes marins.

Le mystérieux puits de plastique océanique
Les fleuves sont reconnus comme étant la principale source d’export de microplastiques vers les océans. Selon les évaluations disponibles antérieurement, le stock de microplastiques flottant à la surface de l’océan – de quelques dizaines à quelques centaines de tonnes – ne représente qu’une très petite fraction des millions de tonnes rejetés par les fleuves chaque année. Ce déséquilibre a conduit à élaborer l’hypothèse de l’existence d’un « puits de plastique manquant » piégeant les quantités de microplastiques qui, additionnées aux quantités de plastique effectivement retrouvées dans les océans, seraient nécessaires pour équilibrer les apports fluviaux déversés en mer.

Selon l’auteur principal de l’étude, le Dr Lisa Weiss, du laboratoire Cefrem de l’Université de Perpignan, « les observations in situ dont nous disposons aujourd’hui pour les microplastiques dans les fleuves, comparées aux premières études de modélisation empirique, nous ont permis de constituer une base de données plus fournie que nous avons pu analyser statistiquement. Nous avons ainsi abouti à une estimation plus fiable de la quantité de microplastiques rejetés par les fleuves dans les océans. Cette analyse a révélé plusieurs erreurs méthodologiques importantes dans les estimations antérieures des flux. Lorsque nous avons corrigé ces erreurs, nous avons constaté que les estimations des apports fluviaux mondiaux sont inférieures de deux à trois ordres de grandeur à ce que l’on pensait auparavant. En outre, nous avons constaté que le temps de séjour moyen des microplastiques à la surface des océans devait en fait être de quelques années, et non de quelques jours seulement, comme estimé auparavant. »

« Nous pouvons maintenant confirmer que la recherche du « puits de plastique manquant » est terminée, car les plastiques manquants ont été trouvés grâce à la correction de l’estimation des apports fluviaux », déclare le professeur Miquel Canals, chef du Groupe de Recherche sur les Géosciences Marines à l’Université de Barcelone et l’un des co-auteurs de la publication.

La nouvelle étude identifie les principales erreurs méthodologiques qui ont conduit à des évaluations inexactes des flux et de la masse globale des microplastiques déversés par les fleuves dans les océans à l’échelle mondiale. Ces erreurs sont notamment dues (i) à une surestimation systématique de la masse moyenne des particules de microplastiques dans les échantillons fluviaux, (ii) à l’intégration dans les modèles de données incompatibles entre elles car prélevées par différentes techniques d’échantillonnage et (iii) à des évaluations peu adaptées fondées sur la relation entre les flux de microplastiques et l’indice Mpw (quantités de déchets plastiques mal gérés).

Des chercheurs et bénévoles ramassant des déchets plastiques dans le fleuve Têt en France © Citeco66

Un combat sans frontières pour préserver nos océans
Les déchets marins ne se soucient pas des frontières et ont atteint les zones les plus reculées de notre planète et de nos océans. Selon le Pr Wolfgang Ludwig, directeur du Cefrem et co-auteur de l’étude, « la seule façon d’avoir une chance de gagner le combat contre la pollution microplastique sera de cibler les sources où les déchets microplastiques sont générés. Nous devons prendre des mesures au niveau humain : changer nos habitudes de consommation et mieux gérer nos déchets. Et nous devons le faire à l’échelle mondiale. »

« En outre, notre étude montre que la pollution marine par les microplastiques ne provient pas seulement des pays en voie de développement – avec peu ou pas de gestion des déchets – comme on pourrait le penser, mais aussi de pays disposant de systèmes de gestion des déchets bien établis. Si nous devions arrêter aujourd’hui le transfert de microplastiques des fleuves vers la mer, la quantité de particules flottantes et leurs effets néfastes sur les écosystèmes marins persisteraient pendant encore plusieurs années au moins », déclare le Pr Ludwig.

Prochaines étapes…
L’impact des plastiques sur l’environnement marin est un domaine de recherche scientifique émergent qui a donné lieu à un grand nombre de publications scientifiques au cours des dernières années. Pourtant, nous commençons tout juste à appréhender le cycle des plastiques dans les océans. Il existe de nombreuses classes de taille de plastique, de compartiments océaniques et de processus de transfert de la terre vers la mer pour lesquels il est urgent de poursuivre les recherches afin d’évaluer correctement la taille des stocks et les échanges entre les compartiments. À l’avenir, nous aurons besoin de données scientifiques améliorées et enrichies si nous voulons avoir une chance de gagner la bataille contre la pollution plastique. Pour ce faire, la communauté scientifique doit travailler ensemble pour surmonter l’inertie du passé, corriger les erreurs et travailler avec des protocoles et des lignes directrices universels afin de fournir les meilleurs conseils possibles en matière de prise de décision, nécessaires pour protéger nos océans et nos écosystèmes.

Reference:
Weiss, L.1; Ludwig, W. 1; Heussner, S. 1; Canals, M.2; Ghiglione, J.F.3; Estournel, C.4; Constant, M.1;
Kerhervé, P.1 The missing ocean plastic sink: Gone with the rivers. Science, July 2021.
1CEFREM, UMR 5110 University of Perpignan–CNRS, F-66860 Perpignan Cedex, France.
2CRG Marine Geosciences, Department of Earth and Ocean Dynamics, University of Barcelona, E-08028 Barcelona, Spain.
3LOMIC, UMR 7621 Sorbonne University–CNRS, F-66650 Banyuls-sur-Mer, France.
4LEGOS, UMR 5566 University Toulouse III–CNRS/CNES/IRD/UPS, F-31400 Toulouse, France.