Signé : « Diips » – Balade en compagnie d’un graffeur

Jean-Loup Broschard alias Diips devant son loup-garou du canal de Pia – Photo © le journal catalan.com
Jean-Loup Broschard alias Diips devant son loup-garou du canal de Pia – Photo © le journal catalan.com
Jean-Loup Broschard alias Diips devant son loup-garou du canal de Pia – Photo © le journal catalan.com

Juste de hautes herbes à traverser et un mur à sauter et nous voilà dans un long couloir délimité par des murs de béton. L’endroit possède bien une longueur de 300 mètres avant de disparaître dans l’ombre d’un virage et d’un tunnel. Sur les murs des dizaines de fresques, d’œuvres multicolores. Parmi elles de purs chefs-d’œuvre. Nous pourrions aisément nous croire au milieu d’un espace consacré à l’art contemporain. Avec le bleu du ciel pour plafond. Nous sommes en fait à la sortie de Pia, le long de la D12, dans l’agouille, ce canal d’irrigation ou de collecte des eaux de pluie, qui court le long de la route jusqu’à Rivesaltes et, plus loin, jusqu’à Peyrestortes. Nous sommes venus pour rencontrer un graffeur que nous considérons comme l’un des plus talentueux du moment et qui signe ses œuvres du nom de Diips.

L’agouille de Pia, le long de la D12 – Photo © le journal catalan.com
L’agouille de Pia, le long de la D12 – Photo © le journal catalan.com

C’est justement dans ce canal qu’un rappeur hors normes nommé R Can a choisi de tourner son clip intitulé ‘Kick Au Mic’, un clip tourné en seulement deux plans séquences et qui se termine sur la belle fresque aux couleurs ambrées réalisée par Diips. Un portrait de R Can au micro. R Can tient son nom de son passé de tagueur. Il s’est installé dans les Pyrénées Orientales depuis qu’il a 20 ans. Il anime des ateliers d’écritures dans les foyers, les écoles, les établissements pénitentiaires et ses textes méritent une écoute et une lecture attentives. C’est un rappeur atypique qui a eu l’occasion d’enregistrer avec Jordi Barre (1920-2011) et aussi avec deux des membres de Tekameli.

Nous sommes donc dans ce canal surprenant en compagnie de Diips qui nous annonce : « Ici c’est le domaine des graffeurs. Ça résume un peu tout ce qui se passe sur la scène graffiti perpignanaise. »

R Can : ‘Kick Au Mic’, vu par Diips – Photo © le journal catalan.com
R Can : ‘Kick Au Mic’, vu par Diips – Photo © le journal catalan.com

D’emblée nous comprenons que Diips n’a pas envie de parler uniquement de lui. Il préfère nous présenter les réalisations de son entourage, de sa petite sœur, de son ex-beau-frère ou bien de son équipe (G2K). « Là, poursuit-il en nous désignant un graff, c’est vraiment le gars qui m’a appris à graffer, c’est Cheatz. C’est lui qui m’a mis les bombes dans les mains. C’est lui qui a fait le gars que je suis maintenant. En fait, je lui dois vraiment mon graff. » Plus tard il nous dira : « C’est le seul dont j’écoute les conseils, c’est lui qui m’a tiré vers le haut » en nous conseillant de réaliser un jour un autre reportage sur ce fameux Cheatz qui, lui, « fait plus dans la pédagogie. »

Pour l’instant nous sommes cloués devant une fresque magnifique de Diips représentant un loup-garou, en nous disant qu’une photographie ne rendra compte que pour partie de sa beauté. Alors nous essayons d’en savoir un tout petit peu plus sur le street artist qui a réalisé ce chef-d’œuvre.

« Je fais partie d’une catégorie qui sort du graffiti pour aller vers la fresque. » – Photo © le journal catalan.com
« Je fais partie d’une catégorie qui sort du graffiti pour aller vers la fresque. » – Photo © le journal catalan.com

Diips : « Je me nourris de mon mal-être, de ma tristesse et de ma joie extrême. Sinon je n’ai pas envie de peindre. On ne pourra jamais canaliser ça en m’enfermant dans une galerie d’Art. Pourquoi est-ce que je réalise un loup-garou assez « énervé » ? Parce que c’est quelque chose qui me représente. Je vais un jour me le faire tatouer sur le bras. La plupart de ceux qui créent sont des gens écorchés vifs. Moi, je fais ça parce que, quand j’ai perdu ma mère, il fallait que je m’exprime, il fallait que je graffe ce que j’avais sur le cœur. C’est très profond et on se sort les tripes. Quand je vois ce que fait Flow, un de mes mentors, je me dis qu’on se comprend même si on ne se voit pas beaucoup. C’est excellent de voir quelqu’un avec qui on est sur la même longueur d’ondes. »

Dans ce canal, avec au-dessus de nos têtes le bourdonnement des voitures filant sur la D12, nous nous désolons d’abord que les gens n’aperçoivent même pas toutes ces splendeurs, ces tags, ces graffs et ces fresques (il faut en fait examiner une photo satellite pour se rendre compte de la présence de cette agouille à la sortie de Pia) et ensuite nous déplorons leur caractère périssable et précaire. Mais Diips a la réponse à notre dépit :

« Je suis dans le crew G 2 K et je signe parfois d’un deuxième nom. Dans un esprit vandale. » – Photo © le journal catalan.com
« Je suis dans le crew G 2 K et je signe parfois d’un deuxième nom. Dans un esprit vandale. » – Photo © le journal catalan.com

« Alors, je vous explique : la première idée qu’il faut retenir dans le graffiti c’est que c’est éphémère. On le sait dès le départ, et quand nous disons que nous laissons notre marque, pour nous l’important n’est pas nécessairement de durer mais de l’avoir fait. On a réalisé ce personnage ou ce lettrage. C’est ça l’important. Parce que le graffiti à la base c’est du lettrage et moi je fais partie d’une catégorie qui sort du graffiti pour aller vers la fresque. Mais ça ne m’empêche pas d’adorer le graffiti puisque c’est de là d’où je viens. De cette scène. Et je fais aussi du lettrage. On laisse notre marque en sachant que c’est éphémère, un peu comme si on dialoguait entre nous. Dans la rue, les gens en ont une mauvaise image parce qu’ils associent cela au vandalisme mais les vrais graffeurs ne vont pas aller abîmer des voitures. Bien sûr c’est illégal puisque l’on est sur le domaine public. Mais ils laissent leur marque pour dire : on est passé par-là. Là j’ai inscrit mon empreinte. En marquant le nom de l’équipe (le crew), on fait ainsi un clin d’œil aux collègues. »

Nous insistons cependant : Ce qui est fâcheux c’est que toutes ces créations vont se détériorer, s’abîmer. Ne serait-ce que par l’eau. Ce qui est contrariant c’est aussi que les gens ne les voient pas, puisque nous sommes en contrebas de la route.

Diips : « C’est pas grave. Le plus important, c’est de s’être fait plaisir. La notoriété, ce n’est pas ce qui est le plus important. Elle finit bien par arriver si on est bon. Un breaker m’a dit un jour : « Si t’es bon, t’as pas besoin de parler ». Et c’est la vérité. »

Puis il conclut, alors que nous sortons à grand peine du canal et que nous nous hissons avec son aide sur le mur :

« Ce qui est bien c’est que c’est organique. On va avoir les plantes qui vont pousser par-dessus. »

« Une dédicace sur un graff, ça prouve une certaine forme de respect. Ça veut dire que c’est notre pote et qu’on valide. Ce sont des rituels qui font très gang. » – Photo © le journal catalan.com
« Une dédicace sur un graff, ça prouve une certaine forme de respect. Ça veut dire que c’est notre pote et qu’on valide. Ce sont des rituels qui font très gang. » – Photo © le journal catalan.com

Et c’est vrai que Diips n’a pas besoin de parler. Il répond gentiment à nos interrogations mais, en réalité, sa notoriété se fait toute seule. Une des photos représentant une de ses créations (figurant Renarde du Désert) publiée sur la page Facebook du site parisien “All City” a déjà récolté 12 810 likes et a été partagée 532 fois au moment où nous écrivons ces lignes. “All City”, c’est un site web qui publie une sélection de photographies ou de vidéos triées sur le volet. Autrement dit ce site ne parle que de graff de très haut niveau ou du street art le plus réussi, bref du meilleur de « la planète graffiti ». Sur Instagram, deux des photos des œuvres de Diips ont été vues plus 50 000 fois. Une a dépassé la barre des 100 000. Ainsi pouvons-nous observer que la notoriété de Diips dépasse largement les frontières du département, celles du pays, pour finalement être européenne. Diips a même été interviewé par DJ Youval, une des figures historiques du Hip-hop français, le speaker des plus gros battles nationaux et internationaux, créateur du « 1000% » et du « Vertifight » et, dans cet entretien vidéo, Diips a pu déclarer : « Il faut garder ce côté underground de la rue. Et si on n’a plus ce côté vandale du graffiti ça ne pourra pas le faire. Dans toutes les disciplines du Hip-hop, il faut rester dans la rue. »

« Ca fait deux ans que je fais des lettres. On pose notre nom et on s’en va. » – Photo © le journal catalan.com
« Ca fait deux ans que je fais des lettres. On pose notre nom et on s’en va. » – Photo © le journal catalan.com

Mais nous n’entrerons pas, ici dans cet article, dans la sempiternelle discussion sur l’art de la rue et le vandalisme. Tout d’abord, nous savons bien que « des goûts et des couleurs l’on ne discute pas ». Et puis, nous savons parfaitement que tous ces moyens d’expression remontent à des dizaines de milliers d’années, au début du Paléolithique supérieur, cette période où les hommes, en utilisant des systèmes symboliques identitaires qui leur étaient propres, s’adonnaient à l’art rupestre en employant un grand nombre de techniques (peinture, gravure, empreintes, tracés digitaux, etc.) techniques finalement proches de celles auxquelles les graffeurs ont recours aujourd’hui. Jadis, on se servait de roseaux ou d’os creux pour projeter des pigments colorés sur les murs et, maintenant, on a recours à des bombes de peintures.

Retour aux sources. Nous sommes maintenant, toujours accompagnés de Diips, dans les locaux du Point Information Jeunesse (Le PIJ), avenue Louis Torcatis à Pia. L’occasion de parvenir enfin à ce que Diips nous parle un peu de lui :

« Je graffe depuis cinq ans. Ça c’est mes premiers graffs. Il nous dévoile de superbes fresques Noir & Blanc réalisées à même les murs du PIJ sans pochoir et sans rétroprojecteur. Je travaille toujours sur photo. Pratiquement. Bon, maintenant moins. Parce que j’ai plus l’habitude. Si vous voulez, en fait, j’ai travaillé à la dure. Je suis passé aux trucs les plus compliqués tout de suite. Je ne dirai pas que j’étais doué mais que j’avais des dispositions. En réalité, le truc qui prime c’est le boulot. »

Une des premières réalisations de Diips dans les locaux du PIJ de Pia – Photo © le journal catalan.com
Une des premières réalisations de Diips dans les locaux du PIJ de Pia – Photo © le journal catalan.com

Dans le jardin à l’arrière du PIJ de Pia, nous contemplons d’autres créations de Diips, ainsi que celles de son entourage, agrémentées de graffittis réalisés par les gamins initiés au graff par Diips, entre autres. « Ça c’est une partie de mon travail, le portrait. » Dans le couloir, nous tombons en arrêt devant de grandes fresques mettant en scène des personnages de films d’animation produits par DreamWorks ou par Disney. Et Diips enchaîne : « Mais vraiment ce dont je me nourris c’est l’univers de Walt Disney. » Et là, Delphine, Sandra et Christophe ne s’y sont pas trompés : ils ont mis sur pieds, à Pia, une maison d’assistantes maternelles qu’ils ont baptisée « Les P’tits Axurits » (se prononce achourit’ et signifie « Les Petits Malins ») et se sont tournés vers Diips pour s’occuper de la décoration de toute l’association. Tâche dont le graffeur s’est acquitté en réalisant une superbe fresque dans chacune des pièces (Winnie l’Ourson, Panpan, etc.). « Nous lui avons fait entièrement confiance quant au choix des thèmes » disent-ils, pleinement satisfaits du beau résultat.

Ainsi, Diips, qui a 31 ans maintenant, vient de terminer la décoration de la discothèque « Central Beach » (ex-Silver) à Argelès-Plage , avec une équipe de sept graffeurs. Il a aussi réalisé une magnifique fresque pour Eric et Adrien du Bar à Cocktails « La Tanière du Loup » à Canet-Plage.

Vous vous nommez Jean-Loup Broschard. Comment en êtes-vous venu à signer « Diips » ?

« Ça vient d’un ami qui s’appelle Fred. C’est quelqu’un qui m’a toujours soutenu. J’ai l’habitude de travailler en équipe et je demande souvent leur avis à mes amis, des conseils. Et c’est lui qui m’a trouvé ce nom quand j’étais Bboy. J’ai fait 7 ans de breakdance. Son modem Internet s’appelait SpeedTouch. Et il m’a baptisé « Diips »  (« speed » à l’envers). »

Ça ne donne pas le trac d’intervenir à main levée sur des supports où l’on ne peut pas se louper ?

« Le plus grand ennemi du graffeur c’est la peur. Avec la peur, on a une chance sur deux de se louper. »

Fresque dans le hall du PiJ de Pia (« Je suis reprographe, mon domaine c’est la reproduction ») – Photo © le journal catalan.com
Fresque dans le hall du PiJ de Pia (« Je suis reprographe, mon domaine c’est la reproduction ») – Photo © le journal catalan.com

Nous déplorons que la très belle fresque hyper-réaliste qu’il a peinte sur le mur du PIJ de Bompas commence à s’abîmer, attaquée au pied du mur par l’humidité.

« Mais c’est toujours beau, nous répond-t-il imperturbable, même un graff abîmé. Ça ne fait jamais moche. »

Et puis nous retrouvons Diips à Rivesaltes. Perché en haut de son escabeau, il pose la dernière touche à une immense fresque qu’il peint sur le mur du club sauna non-conformiste « Atlantis » au n°9 de l’avenue de l’Agly. Nous le regardons travailler en remarquant combien son geste s’apparente à la danse : éloigner la bombe du mur, la rapprocher, freiner sur la fin du geste pour donner plus de pigments, ce genre de plaisirs que l’on ne peut apprécier que confronté à un mur. Nadia, la sympathique propriétaire du club, nous explique :

« Je voulais au départ un tag dans les vestiaires avec « Atlantis » inscrit dessus. On m’a donné les coordonnées téléphoniques d’un garçon qu’on m’a présenté comme étant très bien, très sérieux. »

Fresque de Diips sur le mur du club « Atlantis 66 » à Rivesaltes – Photo © le journal catalan.com
Fresque de Diips sur le mur du club « Atlantis 66 » à Rivesaltes – Photo © le journal catalan.com

Et Diips poursuit : « Je leur ai donc décoré le vestiaire et ensuite ils m’ont contacté de nouveau un an après en me disant qu’ils voulaient que je leur décore la façade. Comme j’avais envie de refaire de la déco pure, de l’agencement, du home staging et tout ça, je leur ai proposé, moyennant un budget, de leur refaire toute la déco, sur trois mois, en faisant venir des intervenants dont mon père qui est peintre. Et on a tout refait, tant et si bien que le club n’a plus rien à voir avec ce qu’il était avant. »

Nous visitons le club qui est fort éloigné de la mauvaise image qui est véhiculée habituellement par les reportages télé réalisés sur les clubs libertins (où les équipes de tournage viennent avec des figurants qui ont une démarche exhibitionniste et outrancière). La clientèle ici est discrète, tranquille, saine et respectueuse. C’est chaleureux et convivial. Nous admirons, tout en discutant, l’inscription « Atlantis » réalisée, le long du comptoir du bar, à la bombe de peinture et au pinceau sans scotch, « sans rien du tout ».

Œuvre de Diips sur le mur extérieur du PIJ de Bompas – Photo © le journal catalan.com
Œuvre de Diips sur le mur extérieur du PIJ de Bompas – Photo © le journal catalan.com

Et nous quittons Jean-Loup Broschard alias Diips, le laissant terminer sa grande fresque murale, persuadés d’avoir un moment côtoyé l’un des artistes majeurs de la scène graffiti actuelle, artiste dont la notoriété est en train de s’établir bien au-delà de nos frontières. (Diips doit en effet participer fin août au Meeting of Style en Belgique). Et c’est bien une des missions que s’est assignées le Journal Catalan que celle qui consiste à mettre l’accent sur les jeunes talent émergents.

Contact : diips45@hotmail.fr
Tel : 06 26 88 70 71 – Jean-Loup Broschard.

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