Dans les cortals du Canigó, quand juin touche à sa fin et que les bergers remontent vers les estives, une coutume ancestrale reprend vie. Maria Bonafé, dernière gardienne du cortal de Mentet, m’a confié cette recette transmise par sa grand-mère : « Le thym serpyllet, tu le cueilles entre Saint-Jean et Saint-Pierre, jamais après. » Cette tisane du solstice, préparée avec le thym sauvage des hauteurs, reste l’un des secrets les mieux gardés de nos bergeries d’altitude.
Aujourd’hui, seules quatre familles perpétuent cette tradition millénaire dans les estives du Canigó. Entre mémoire orale et gestes précis, elles maintiennent vivant un savoir-faire que nos anciens utilisaient contre les affections respiratoires de l’été catalan.
Cette préparation, bien plus qu’un simple remède, incarne l’art de vivre en harmonie avec les cycles naturels de nos montagnes catalanes. Un héritage fragile qui mérite d’être transmis aux générations futures.
L’origine de cette tradition catalane
Une pratique documentée depuis le XVIIIe siècle
Les archives des bergeries du Canigó attestent de cette pratique dès 1750, quand les bergers transhumants développaient leurs propres remèdes contre les maux estivaux. Le thym serpyllet, récolté entre 1200 et 1800 mètres d’altitude, possédait des propriétés que ne retrouvaient pas les thyms de plaine.
Le calendrier sacré des cueilleurs
La période de récolte répond à un calendrier précis : du 24 au 29 juin, de Saint-Jean à Saint-Pierre. Nos anciens observaient que la montée de sève atteignait son apogée au solstice d’été, concentrant dans les feuilles un maximum d’huiles essentielles. Cette fenêtre de six jours détermine la qualité thérapeutique de la future tisane.
Le geste précis qui fait la différence
La reconnaissance du thym serpyllet
Contrairement au thym vulgaire, le Thymus serpyllum forme des coussins ras aux feuilles plus petites et velues. Sa tige rampante épouse les reliefs rocheux, et son parfum camphré se distingue nettement. Cette cueillette à l’aube que trois lignées perpétuent nous enseigne l’importance du moment choisi.
La technique de cueillette traditionnelle
Josep Puig, berger au cortal de Mentet, respecte le geste ancestral : cueillette avant l’aube, quand la rosée protège encore les essences volatiles. Il sélectionne uniquement les tiges fleuries, coupées à la serpe traditionnelle pour préserver la repousse. Chaque toffe récoltée garantira plusieurs années de récolte future.
Comment nos anciens procédaient
La macération solaire de neuf jours
La préparation traditionnelle exige une patience que nos rythmes modernes ont oubliée. Le thym fraîchement cueilli macère neuf jours dans des gerres en terre du Vallespir, exposées au soleil matinal puis protégées des ardeurs de midi. Cette alternance thermique extrait progressivement les principes actifs sans les altérer.
L’eau ferrugineuse du Canigó
Anna Mir, tisanière de Casteil, utilise exclusivement l’eau de source ferrugineuse qui sourd près de ces puits de pierre du Canigó que les anciens creusaient. Cette eau, riche en minéraux, renforce les propriétés expectorantes du thym et stabilise naturellement la préparation.
Conseil de mamie Bonafé : « Tu filtres trois fois : d’abord grossièrement avec un linge de chanvre, puis au crin de cheval, enfin au papier joseph. Le sirop doit couler clair comme l’ambre. »
L’adapter aujourd’hui dans votre quotidien
Une version moderne respectueuse
Vous pouvez reproduire cette tisane en remplaçant les gerres par des bocaux en verre teinté. Respectez le ratio traditionnel : 100g de thym serpyllet pour un litre d’eau de source. La macération se fait désormais sur cinq jours, avec filtration quotidienne pour éviter l’amertume.
Conservation et usage contemporain
Conservée au frais dans des bouteilles stérilisées, cette tisane se garde dix-huit mois. Cette hydratation nocturne des cortals nous inspire pour intégrer cette tradition aux rythmes actuels : une cuillère à soupe dans une tisane du soir, dès les premiers signes de toux estivale.
Cette tisane du solstice perpétue l’alliance entre l’homme et la montagne catalane. En juillet, période idéale pour débuter votre propre préparation, vous participez à la sauvegarde d’un patrimoine immatériel précieux. Car transmettre ces gestes simples, c’est préserver l’âme de nos territoires pour les générations futures.
Où se procurer le thym serpyllet ?
Vous le trouverez dans les estives du Canigó entre 1200 et 1800 mètres, mais respectez les zones protégées et demandez l’autorisation aux bergers locaux.
Peut-on utiliser du thym de jardin ?
Le thym vulgaire possède des propriétés similaires mais moins concentrées. Augmentez les proportions de 30% pour obtenir une efficacité comparable.
Combien de temps se conserve la tisane ?
Correctement filtrée et stockée au frais, elle se maintient dix-huit mois. Un dépôt naturel peut apparaître sans altérer ses qualités.
À quel moment la consommer ?
Traditionnellement prise le soir, une cuillère à soupe dans une tisane chaude calme la toux nocturne et facilite l’expectoration matinale.