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dimanche 3 août 2025

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Cette technique des anchoieuses que 2 familles de Collioure transmettent depuis 1870

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Dans les ruelles étroites de Collioure, le bruit des lames qui entaillent délicatement la chair argentée résonne encore chaque matin. Maria Roque m’avait confié en 2019 : « Ma grand-mère me répétait toujours que l’anchois ne pardonne aucun geste approximatif. Une fois abîmé, il ne retrouve jamais sa texture. » Cette phrase résume à elle seule l’exigence absolue des anchoieuses, ces femmes qui depuis 1870 perpétuent l’art minutieux du filetage manuel dans ce petit port catalan.

Aujourd’hui, seules les familles Roque et Desclaux maintiennent vivante cette tradition que trente ateliers pratiquaient encore au milieu du XXe siècle. Leurs gestes précis, transmis de mère en fille, constituent l’unique savoir-faire français reconnu par une Indication Géographique Protégée pour un poisson. Ces techniques ancestrales, adaptées aux normes sanitaires modernes, préservent l’authenticité d’un patrimoine maritime catalan irremplaçable.

Chaque anchois qui passe entre leurs mains expertes raconte l’histoire d’une communauté de femmes qui ont su résister à l’industrialisation pour préserver l’excellence de leur art.

L’origine de cette tradition catalane maritime

Une technique née de la nécessité méditerranéenne

Au Moyen-Âge, les pêcheurs catalans de Collioure développent la technique du lamparo pour capturer les anchois lors des nuits sans lune. Cette pêche nocturne à la lumière nécessitait une conservation immédiate du poisson, d’où l’invention de méthodes de salaison particulièrement efficaces dans le climat méditerranéen sec et venteux de la côte rocheuse.

L’essor des dynasties familiales

En 1659, quand Collioure devient français, Louis XI exonère la ville de la gabelle du sel, favorisant l’expansion de cette activité. La famille Roque s’installe en 1870 et perfectionne les techniques transmises oralement. Les femmes se spécialisent naturellement dans les gestes délicats du filetage, leurs mains plus fines étant mieux adaptées à la manipulation de ces petits poissons de quinze centimètres.

Le geste précis qui fait la différence

La technique de l’étêtage-éviscération

L’anchoieuse saisit l’anchois par la queue d’une main ferme, la tête pointée vers sa paume. D’un mouvement unique du pouce, elle sépare la tête des viscères en pressant juste derrière les ouïes. Cette pression doit être suffisante pour entraîner les organes internes sans percer la chair délicate. Le geste s’effectue en moins de trois secondes pour préserver la fraîcheur.

L’art du filetage traditionnel

Après le premier nettoyage au sel, l’anchoieuse place l’anchois dos contre sa paume gauche. Ses deux pouces exercent une pression synchronisée le long de l’arête centrale, séparant les filets sans les déchirer. Cette technique, appelée « ouverture en livre », nécessite une coordination parfaite développée après quatre années d’apprentissage intensif.

Comment nos anciens procédaient dans les ateliers

L’organisation collective des anchoieuses

Dans les trente ateliers historiques de Collioure, les femmes travaillaient en équipes de cinq à dix personnes autour de longues tables en bois. Chaque ouvrière traitait cinquante à cent anchois par heure, dans une cadence rythmée par les conversations en catalan et les conseils des plus expérimentées aux apprenties.

Les techniques de conservation au sel

« Pour un anchois qui fond sous la langue, il faut trois mois dans le sel de Camargue et pas un jour de moins », enseignait Antonia Desclaux à ses filles.

Les anchois préparés étaient disposés tête-bêche dans des barils de chêne, alternant couches de poisson et couches de sel. Cette méthode traditionnelle, encore utilisée aujourd’hui, permet une maturation lente qui développe les arômes caractéristiques des conserves artisanales catalanes.

L’adapter aujourd’hui dans votre quotidien

Reconnaître un anchois artisanal authentique

Un véritable anchois de Collioure se distingue par sa chair rosée et sa texture fondante. Contrairement aux produits industriels, il ne présente aucune trace de déchirure sur les filets, preuve du filetage manuel expert. Sa saveur équilibrée, ni trop salée ni trop huileuse, révèle le respect des temps de maturation traditionnels.

Intégrer cette tradition dans vos repas familiaux

Durant les sobremesas dominicales typiquement catalanes, disposez quelques filets d’anchois sur des tranches de pain frotté à l’ail et à la tomate. Cette préparation simple honore le travail minutieux des anchoieuses tout en perpétuant l’art de recevoir méditerranéen.

En cet été 2025, alors que Collioure accueille de nombreux visiteurs lors des fêtes estivales du Roussillon, soutenir ces dernières gardiennes d’un savoir-faire unique devient un geste citoyen. Chaque achat d’anchois authentiques encourage la transmission de ces techniques irremplaçables que seules quelques mains expertes maîtrisent encore.

Ces gestes séculaires, perfectionnés par des générations d’anchoieuses catalanes, méritent d’être découverts et valorisés pour préserver un patrimoine maritime exceptionnel ancré dans l’identité de notre territoire.