L’été dernier, en montant vers le refuge de Mariailles, j’ai croisé Miquel Puig qui redescendait avec ses sacs de toile remplis de farigola. « Nouvelle lune d’hier soir, me dit-il, c’est maintenant qu’elle concentre tout son thymol. » Ce berger de Casteil perpétue un geste que ses arrière-grands-parents pratiquaient déjà sur ces mêmes pentes du Canigó.
Cette farigola de montagne n’a rien à voir avec le thym de nos jardins. Battue par la tramontane, brûlée par l’altitude et les rayons UV, elle développe une concentration en thymol qui peut atteindre 60%, contre 30% pour ses cousines des plaines. Un trésor antiseptique que seuls quelques initiés savent encore récolter selon les règles ancestrales.
Aujourd’hui, seules cinq familles du Conflent maintiennent cette tradition millénaire de fumigation des cortals. Une pratique que les archives paroissiales du 16ème siècle mentionnent déjà comme « l’encens des bergers » pour purifier l’air des bergeries avant l’hivernage.
L’origine de cette tradition catalane
Une découverte née de l’observation
Nos anciens avaient remarqué que les troupeaux paissant sur les versants du Canigó tombaient moins malades que ceux des vallées. Le secret résidait dans cette farigola sauvage qui pousse entre 800 et 1200 mètres d’altitude, là où les conditions climatiques extrêmes concentrent ses principes actifs.
Un savoir transmis dans l’urgence
La technique s’est codifiée au fil des siècles. Les bergers ont appris à identifier les bonnes touffes, celles exposées plein sud, aux feuilles épaisses et aux tiges ligneuses. Cette connaissance du terrain montagnard se transmettait de père en fils, comme un patrimoine invisible mais vital.
Le geste précis qui fait la différence
La récolte à la nouvelle lune
Miquel Puig m’explique : « La lune noire de juillet, c’est notre rendez-vous annuel. La sève redescend, les huiles se concentrent dans les feuilles. » Il faut partir avant l’aube, quand la rosée perle encore sur les touffes argentées. Seules les extrémités fleuries sont prélevées, avec un couteau bien affûté pour ne pas abîmer la plante.
Le séchage tramontane
Dans les greniers orientés nord, les fascicules de farigola sèchent suspendus aux poutres. La tramontane fait son œuvre pendant quinze jours minimum, évacuant l’humidité sans altérer les molécules volatiles. Cette ventilation naturelle préserve le thymol bien mieux que nos déshydrateurs modernes.
Comment nos anciens procédaient
Les braseros en pierre bleue
Chaque cortal possédait ses braseros traditionnels, taillés dans la pierre bleue de Saint-Laurent-de-Cerdans. Ces récipients épais diffusent la fumée lentement, sans créer de flammes qui détruiraient les principes actifs. Comme pour les techniques agricoles du Conflent, chaque geste avait sa logique.
Le rituel de fumigation
Trois jours avant la montée du troupeau, les bergers allumaient leurs braseros. La fumée dense de farigola saturait l’atmosphère du cortal, éliminant parasites et germes pathogènes. Cette désinfection naturelle protégeait le bétail pendant tout l’hivernage.
L’adapter aujourd’hui dans votre quotidien
Pour votre maison
Vous pouvez reproduire cette fumigation à petite échelle. Quelques brins de farigola séchée dans un brûle-parfum purifient naturellement l’air de votre salon. Cette méthode s’avère particulièrement efficace en période d’épidémies hivernales, remplaçant avantageusement les sprays chimiques.
En infusion préventive
« Une pincée de farigola dans l’eau bouillante, et voilà le meilleur des antiseptiques », répète encore Maria Puig, la mère de Miquel. Cette tisane concentrée désinfecte gorge et système digestif. Comme les techniques de conservation familiales, ce remède traverse les générations sans perdre son efficacité.
L’association « Lo Thym del Canigó », créée en 2019, organise des sorties de découverte chaque été. Une façon moderne de transmettre ce savoir ancestral aux nouvelles générations, pour que la farigola du Canigó continue de parfumer nos montagnes et de soigner nos maux, fidèle à sa promesse millénaire de protection naturelle.
Puis-je récolter la farigola n’importe quand ?
Non, la période optimale reste la nouvelle lune de juillet. C’est à ce moment que la concentration en thymol atteint son maximum.
Où trouver de la vraie farigola du Canigó ?
L’association « Lo Thym del Canigó » vend des sachets lors des marchés locaux de Vernet-les-Bains et Casteil pendant l’été.
Comment distinguer la farigola de montagne du thym commun ?
Ses feuilles sont plus petites, plus épaisses, avec un parfum nettement plus intense. Elle pousse uniquement au-dessus de 800 mètres d’altitude.
La fumigation est-elle sans danger ?
Oui, pratiquée avec modération dans des pièces ventilées. Évitez en cas d’asthme ou d’allergie aux huiles essentielles.
Peut-on cultiver cette farigola en plaine ?
La plante pousse, mais perd ses propriétés spécifiques liées aux conditions climatiques du Canigó. Seule l’altitude concentre vraiment le thymol.