« Narcisse – le pouvoir de l’autoportrait » : derniers jours.

« Narcisse - le pouvoir de l’autoportrait »
Santiago Ydáñez – ‘Sans titre’ (180 X 200 cm) – atelier de Puente de Génave , 2009 – Photo © le journal catalan.com
Santiago Ydáñez – ‘Sans titre’ (180 X 200 cm) – atelier de Puente de Génave, 2009 – Photo © le journal catalan.com

C’est à une intéressante réflexion que nous invite l’exposition « Narcisse – le pouvoir de l’autoportrait ». Proposée jusqu’à ce dimanche 27 septembre à 18h00, elle est organisée par le Musée Hyacinthe Rigaud dans deux des salles du Centre d’art Walter Benjamin, place du Pont-d’en-Vestit, à Perpignan. Le Musée Rigaud est actuellement l’objet de grands travaux qui vont tripler sa surface d’exposition et ne rouvrira qu’au printemps 2017. En attendant, Claire Muchir, sa directrice, déplace ses collections sur moins de deux cents mètres pour investir le long immeuble dessiné par l’architecte Léon Baille (1862-1951), immeuble qui a hébergé l’ancienne Ecole d’Art de la ville. Ce Centre d’art contemporain Walter Benjamin est ouvert tous les jours sauf le lundi, de 10h30 à 18h00.

Urs Lüthi – ‘Tell me who stole your smile’, 1974 – épreuve noir & blanc sur toile émulsionnée (100 X 70 cm) – Photo © le journal catalan.com
Urs Lüthi – ‘Tell me who stole your smile’, 1974 – Photo © le journal catalan.com

L’exposition est placée sous l’auspice de l’un des plus beaux chefs d’œuvre que l’on puisse contempler à Perpignan : « L’autoportrait au turban » de Hyacinthe Rigaud (1698). Hélas l’original en est absent, étant l’objet, lui aussi, de travaux de restauration. Il faut donc se contenter d’une grande reproduction dans le couloir d’entrée du Centre d’Art Walter Benjamin. On pourra retrouver cette merveille dans une vingtaine de mois seulement dans son musée agrandi. On a puisé dans les réserves, et fait appel à de nombreuses institutions culturelles, afin de pouvoir réunir les œuvres d’une cinquantaine d’artistes autour du thème de l’Autoportrait. Ont été sollicités aussi bien le Fond régional d’art contemporain Midi-Pyrénées, que les fonds régionaux du Languedoc-Roussillon, de Provence-Alpes-Côte-d’Azur, d’Alsace, de Lorraine, de Picardie, de Franche-Comté, d’Île de France, et bien d’autres encore.

Anatoly Poutiline – ‘Hommage à Rigaud’, 1999 – huile sur toile (130,3 X 130,3 cm) – Photo © le journal catalan.com
Anatoly Poutiline – ‘Hommage à Rigaud’, 1999 – huile sur toile (130,3 X 130,3 cm) – Photo © le journal catalan.com

« Narcisse – le pouvoir de l’autoportrait » nous propose ainsi de réfléchir à un thème devenu profondément actuel, du fait de l’évolution rapide de nos moyens de communication, celui du narcissisme. Le développement actuel de la photographie (sa démocratisation), la révolution que connaissent aujourd’hui les mass médias, l’irruption du numérique bouleversent forcément notre rapport avec notre propre image. On pense au phénomène des selfies. Mais faut-il pour autant parler de narcissisme ? Et comment entendre cette notion ? Dans son sens positif ou bien dans son excès ? Positif, en tant que fondement de la confiance en soi, l’amour de soi peut être considéré, ainsi que le fait Jean-Jacques Rousseau, comme toujours bon puisque inné et primitif. Il désigne alors l’auto affection et l’expansion de son être. On connaît l’histoire de Narcisse telle qu’elle nous est rapportée dans les Métamorphoses d’Ovide. L’homme amoureux de sa propre image. Beaucoup plus tard sont nés des concepts révélant cette notion dans ses excès : égocentrisme, mégalomanie, voire perversion narcissique et manipulation – ou harcèlement.

(atelier de) Jacques-Louis David – ‘Autoportrait’, 1795 – huile sur toile (64 X 54 cm) – Photo © le journal catalan.com
(atelier de) Jacques-Louis David – ‘Autoportrait’, 1795 – huile sur toile (64 X 54 cm) – Photo © le journal catalan.com

Une autre des questions que soulève cette belle exposition, et non la moindre, est de savoir s’il faut associer autoportrait avec narcissisme ? Le meilleur exemple étant celui de Rembrandt (1606-1669) et de ses 80 autoportraits, à une époque où les peintres ne se représentaient eux-mêmes qu’une à deux fois. De nombreux historiens d’art ont avancé l’explication d’un profond narcissisme du peintre et graveur néerlandais, lui-même ne s’étant jamais expliqué sur le sujet. Mais rien n’est moins sûr. Rembrandt s’est peut-être tout simplement pris comme modèle pour des raisons tout bonnement pratiques (nul besoin de chercher de modèles) ou économiques. A son époque, l’on parlait, non pas d’autoportraits – le terme n’apparaît qu’au XIXème   siècle – mais de « Portraits de Rembrandt par lui-même.» Ses autoportraits lui permettaient d’affiner sa technique, de résoudre avec succès ses problèmes d’éclairage et de clair-obscur, de maîtriser ses couleurs. Sa démarche ne serait pas motivée par des enjeux narcissiques mais par des préoccupations de technique picturale. Autoportrait ne serait donc pas à coup sûr synonyme de narcissisme.

Le Centre d’art Walter Benjamin à Perpignan – Photo © le journal catalan.com
Le Centre d’art Walter Benjamin à Perpignan – Photo © le journal catalan.com

Enfin, on pourra s’interroger pour savoir si l’avalanche actuelle d’autoportraits photographiques (selfies) relève du narcissisme ou bien d’un besoin de réassurance vis-à-vis de l’uniformisation culturelle, sociale, économique à laquelle la mondialisation nous contraint. « Je me prends en photo donc je suis » serait notre nouveau leitmotiv. Une idée que l’on peut appliquer aussi aux graffs, tags et fresques murales qui colorent nos murs. « L’autoportrait va dès lors devenir le témoignage sans fard d’un certain désenchantement. » : telle est la conclusion de cette superbe exposition qui fermera ses portes ce dimanche 27 septembre 2015 à 18h00.

 

« Narcisse – le pouvoir de l’autoportrait »
Centre d’art Walter Benjamin
Place du Pont-d’en-Vestit à Perpignan
Ouvert du mardi au dimanche, de 10h30 à 18h
Renseignements : 04 68 66 24 77
Commissariat d’exposition : Claire Muchir
Entrée : de 2 à 4 euros
Exposition organisée par le Musée d’art Hyacinthe Rigaud

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