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mardi 6 mai 2025

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Ce lac artificiel du Bangladesh où 100 000 personnes ont été déplacées en 1961

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L’immense miroir d’eau étincèle entre les collines verdoyantes du sud-est du Bangladesh. Sur ses rives, un pêcheur lance son filet dans un geste millénaire. Pourtant, cette image de carte postale cache une histoire déchirante. Le lac Kaptai, plus grande étendue d’eau artificielle d’Asie du Sud, n’est pas né de la nature, mais de la volonté des hommes – engloutissant au passage terres ancestrales, villages centenaires et même un palais royal.

Un lac né d’un barrage controversé

En 1961, lorsque le barrage de Kaptai fut inauguré sur la rivière Karnaphuli, peu imaginaient l’ampleur du bouleversement. Financé par l’USAID et construit par Utah International Inc. en pleine guerre froide, cet ouvrage de 670 mètres de long symbolisait la modernité occidentale apportée au Pakistan oriental (actuel Bangladesh).

Le résultat? Un lac artificiel de 688 km² – surface équivalente à six fois la région barcelonaise – avec une profondeur atteignant 150 mètres par endroits. Mais cette prouesse technique dissimule une catastrophe humanitaire que les Bangladais appellent « Bor Porong » (le grand exode).

« Notre maison familiale se trouvait près du palais du roi chakma, » confie Binoy Chakma, 76 ans, rencontré sur les rives du lac. « Tout a disparu sous l’eau en quelques semaines. Nous avons dû fuir avec seulement ce que nous pouvions porter. »

Le patrimoine englouti des collines de Chittagong

Le barrage a noyé plus de 40% des terres arables de la région, anéantissant l’économie traditionnelle des populations autochtones. Quelque 100 000 personnes, principalement des Chakmas et Hajongs, furent contraintes au déplacement. Plus tragique encore, le palais royal des Chakmas, cœur culturel et politique de cette communauté, s’est retrouvé submergé.

Certains jours, quand le niveau d’eau est au plus bas, des piliers de l’ancien palais émergent comme des sentinelles fantomatiques d’un monde disparu. Ces vestiges sont devenus un lieu de pèlerinage pour les descendants des déplacés, comme pour d’autres sites engloutis à travers le monde.

Le « génocide écologique » oublié

L’inondation permanente (ou « impoundment » en terme technique) de la vallée a provoqué ce que certains experts qualifient de « génocide écologique ». Des espèces endémiques disparues, des écosystèmes forestiers détruits, et 35 000 Chakmas contraints de fuir vers l’Inde, créant une diaspora traumatisée dont les blessures restent vives aujourd’hui.

Un paradoxe économique entre beauté et survie

Pourtant, malgré ce lourd tribut, le lac Kaptai est devenu un rouage essentiel de l’économie bangladaise. Sa centrale hydroélectrique fournit encore 5% de l’électricité nationale, 63 ans après sa mise en service. Plus impressionnant: le lac produit près de 18 000 tonnes de poisson par an, source vitale de protéines pour la population.

Chaque samedi, un spectacle unique s’offre aux visiteurs: le marché flottant. Des centaines de barques chargées de mangues, jackfruits et ananas transforment le lac en une mosaïque colorée. Cette adaptation culturelle rappelle comment d’autres communautés lacustres ont développé leur économie autour de l’eau.

Visiter le lac Kaptai: entre écotourisme et mémoire

Pour découvrir ce site aux contrastes saisissants, louez un bateau depuis Reserve Bazar Ghat (2 000-5 000 BDT/jour). Les mois de novembre à mars offrent les meilleures conditions. Logez à Rangamati plutôt qu’à Kaptai, où l’offre d’hébergement reste limitée.

Ne manquez pas les chutes de Shuvolong, le pont suspendu, et tentez d’apercevoir les vestiges submergés près de Kaptaimukh. Respectez les communautés locales dont l’hospitalité n’a d’égale que leur résilience.

En 2024, l’ouverture d’urgence de 16 vannes du barrage a rappelé la fragilité de cet équilibre entre nature domestiquée et forces hydrologiques. Le niveau du lac, actuellement à 108,74 mètres, reste sous surveillance constante.

FAQ : Tout savoir sur le lac Kaptai

Quand visiter le lac Kaptai ?

La saison sèche (novembre à mars) offre les meilleures conditions de navigation et une visibilité optimale. Évitez la mousson (mai-octobre) qui provoque souvent des glissements de terrain.

Le palais submergé est-il visible ?

Certaines parties des ruines émergent pendant la saison sèche, quand le niveau d’eau est au plus bas. Des pêcheurs locaux peuvent vous guider vers ces sites.

Comment les communautés s’adaptent-elles aujourd’hui ?

Les populations locales ont développé une économie mixte basée sur la pêche, l’agriculture des collines et l’artisanat. Le tourisme représente une source de revenus croissante mais encore insuffisante pour compenser les pertes historiques.