Catalan un jour, catalan toujours

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Retranchés sur leur territoire mais ouverts sur les autres, discrets hors de leur fief mais extrêmement fiers de leur culture et de leur identité, les Catalans sont tout en nuances.

Alà Baylac-Ferrer, (historien à l’université de Perpignan), a pour habitude de dire :
« ici, dire qu’on vit en territoire catalan convient à tout le monde. »

Cet esprit catalan fut forgé pendant près de huit siècles de destinée partagée avec le Sud, ­notamment lorsque Perpignan fut la capitale glorieuse du royaume de Majorque (1276-1344). Il explose dans les moments de ferveur collective, notamment lors des matchs de l’Usap ou des feux de la Saint-Jean.

Malgré l’installation de 5500 nouveaux habitants par an, l’identité catalane résiste bien. Elle s’entend, l’accent domine toujours dans les rues, le drapeau sang et or trône fièrement sur les monuments (le Castillet), les institutions (mairies, conseil général), certains commerces et balcons et se vit. La culture catalane ne se résume pas au folklore des danseurs de sardane qui réjouissent les ­touristes en été. « Ceux qui viennent d’ailleurs sentent tout de suite une atmosphère différente. Notre identité est palpable », résume Jaume Roure, ( fondateur du parti catalaniste : Unitat catalana). 

La fierté du territoire, tout d’abord. Des paysages verdoyants aux criques escarpées de la Côte Vermeille, des monts enneigés de Cerdagne aux vignes généreuses du Roussillon, le Catalan du Nord désigné ainsi depuis les années 1970 par rapport au voisin d’outre-Pyrénées s’identifie profondément à son département. Probablement parce que les Pyrénées-Orientales ont conservé une cohérence historique. « Pour une fois, la France a bien fait les choses, explique Jean-Marc Pujol, maire (UMP) de Perpignan. Alors que beaucoup de peuples se sont retrouvés à cheval sur deux départements ou intégrés à un ensemble plus vaste, les frontières des Pyrénées-Orientales embrassent celles de la Catalogne du Nord historique. »

« Etre catalan, c’est choisir d’adhérer à un territoire et à son art de vivre, explique Jérôme, cet Argelésien à l’accent dilué par vingt ans de vie parisienne. La plupart ajoutent le rugby et la gastronomie. Une minorité se définit par rapport à la langue, à la culture et à l’Histoire. Mais il n’y a rien d’ethnique ou de revendicatif. »

Les nouveaux venus adoptent en général assez vite le pays. Quelques semaines suffisent pour goûter sa première escalivade de légumes et assimiler les particularismes locaux: le village de Baixas ne se prononce pas « béxas » mais « bachas » ; on passe la toile et non pas la serpillière, et on demande une poche à la place d’un sac en plastique… Dans la rue, maîtriser quelques rudiments de catalan, à l’image de « bon dia » pour saluer ou « fins aviat » pour « à bientôt », attire toujours un sourire bienveillant.

Il existerait donc autant de façons d’être catalan que de Catalans. Rien d’étonnant. Situé en plein couloir méditerranéen, le département est une terre d’immigration. Des Gitans de Barcelone aux retraités de Normandie, en passant par les réfugiés espagnols du franquisme, les Portugais, les pieds-noirs d’Algérie et les Maghrébins, les Catalans ont absorbé maintes vagues migratoires. Symbole de ce métissage, le maire de Perpignan, Jean-Marc Pujol, est tout à la fois pied-noir et catalan.

Si les Catalans ouvrent grand leurs bras à quiconque montre un intérêt pour leur culture, l’affirmation d’une identité forte passe aussi, comme en Corse ou au Pays basque, par une prise de distance vis-à-vis du reste de la France. A commencer par les Audois, coupables d’occitanisme. Alexandre Combes, 25 ans, originaire de Port-la-Nouvelle, peut en témoigner. Il fut surnommé « le gavatx » (l’étranger, prononcer « gabatch ») lors de sa scolarité à Perpignan. « Tous les Audois étaient traités ainsi, mais ce n’était pas méchant, juste un peu moqueur », se souvient-il.

En attendant, beaucoup de Catalans bilingues ressentent, parfois inconsciemment, une double frustration : celle de ne pas se sentir complètement français et celle de ne pas partager les destinées de la « vraie » Catalogne, où la langue est parlée par près de 80% de la population.

Si un monde sépare le catalaniste bilingue et le retraité parisien, tous se mettent d’accord sur l’essentiel: la fierté d’être catalan. Et gare à ceux qui oseraient les critiquer. Les Catalans sont accueillants, mais ne retiennent personne.

 

Source : Laurent Lacombe, L’express.