Dans l’atelier de mon grand-père, maçon à Thuir, une règle dominait toutes les autres : la pierre pentagonale ne se pose jamais comme la pierre carrée. Cette maxime, héritée des maîtres bâtisseurs de Castelnou, résonnait chaque fois qu’il évoquait ces murs si particuliers qui épousent depuis mille ans la forme irrégulière de l’éperon rocheux des Aspres.
Aujourd’hui, alors que le château renaît sous les mains expertes des artisans départementaux, cette technique unique refait surface. Car à Castelnou, la maçonnerie n’obéit pas aux règles habituelles.
Cette architecture pentagonale, rarissime en Catalogne Nord, exige un savoir-faire que seuls quelques maçons maîtrisent encore dans notre territoire.
L’origine de cette tradition catalane
Une contrainte géologique devenue art
Au Xe siècle, les bâtisseurs de Castelnou ont dû composer avec l’arête rocheuse la plus escarpée des Aspres. Contrairement aux châteaux classiques érigés sur terrain plat, ils ont épousé la forme naturelle du roc, créant ce pentagone irrégulier unique en son genre.
Des matériaux choisis selon l’exposition
Les anciens savaient parfaitement adapter leurs matériaux au relief. Le calcaire solide structure les angles critiques sud-ouest et nord-ouest, tandis que le schiste brun des Aspres, plus résistant à la chaleur méditerranéenne, domine les parties supérieures exposées au soleil.
Le geste précis qui fait la différence
L’assemblage des angles obliques
Contrairement aux angles droits traditionnels, chaque pierre de taille doit être ajustée selon l’inclinaison naturelle du pentagone. Les maçons actuels utilisent encore cette technique ancestrale : ils tracent d’abord l’angle exact sur la pierre, puis la taillent progressivement en vérifiant constamment l’ajustement.
La pose alternée calcaire-schiste
Dans les murs méridionaux, comme pour les galets du Canigó, l’alternance des matériaux suit une logique précise. Cinq mètres de calcaire équarri à la base, puis le schiste en partie haute, créant cette signature visuelle unique aux Aspres.
Comment nos anciens procédaient
Le mortier de chaux adapté au climat sec
Nos arrière-grands-mères connaissaient la recette parfaite pour ces murs pentagonaux. Trois mesures de sable local pour une de chaux hydraulique, mélangées à sec avant l’ajout progressif d’eau de source. Ce mortier, plus poreux que les modernes, permet une évacuation naturelle de l’humidité tout en résistant aux sécheresses prolongées des étés catalans.
Conseil de mamie : « Pour que le mortier tienne sur pierre de schiste, il faut le poser juste après l’humidification, jamais sur pierre sèche. Et toujours finir avant midi quand le soleil tape fort. »
L’adaptation saisonnière des travaux
Les anciens respectaient scrupuleusement le rythme méditerranéen pour leurs chantiers. Printemps et automne pour la pose, été pour la taille des pierres à l’ombre, hiver pour préparer les matériaux. Comme la pierre du Canigó qu’on arrose encore, ils savaient que chaque saison apporte ses contraintes spécifiques.
L’adapter aujourd’hui dans votre quotidien
Restaurer un mur de mas avec cette technique
Si vous possédez un mas avec des murs en pierre des Aspres, vous pouvez appliquer ces principes ancestraux. Respectez l’alternance des matériaux d’origine, utilisez un mortier de chaux naturelle, et travaillez toujours par temps couvert ou en fin de journée durant l’été.
Transmettre ce savoir-faire
Le plan départemental de 2018-2022 prévoit la formation de nouveaux artisans à ces techniques spécifiques. Rejoindre ces formations, c’est perpétuer un art millénaire propre à notre territoire. Car seuls certains châteaux révèlent ces secrets d’adaptation au relief catalan.
Aujourd’hui, quand je passe devant les échafaudages du château, je pense à tous ces gestes transmis de maître à apprenti. Cette maçonnerie pentagonale unique en Catalogne Nord mérite qu’on la préserve, qu’on la comprenne, qu’on la transmette.
Car dans chaque pierre taillée selon ces angles particuliers, c’est l’âme créative de nos anciens qui continue de vibrer sur les hauteurs de Castelnou.
