L’été dernier, en remontant le chemin pierreux vers le mas de mon voisin Josep, près d’Arles-sur-Tech, j’ai découvert ce qui ressemblait à une cathédrale végétale. Trois rangées de pergolas centenaires couvertes de vigne grenache, sous lesquelles prospéraient tomates, aubergines et haricots à rames. Josep m’expliqua que son arrière-grand-père avait planté ces structures en 1924, créant un système d’ombrage naturel que la famille perpétue depuis trois générations.
Ces emparrats du Vallespir ne sont pas de simples pergolas décoratives. Ils incarnent une intelligence agricole ancestrale, mariageant production viticole et maraîchage dans un même espace optimisé. Quand la canicule frappe nos vallées catalanes, ces voûtes de verdure maintiennent une fraîcheur salvatrice pour les légumes du quotidien.
Cette technique millénaire révèle toute sa pertinence face aux défis climatiques actuels. Dans un contexte où l’ombre devient précieuse, redécouvrir ces savoir-faire catalans prend un sens nouveau pour nos jardins familiaux.
L’origine de cette tradition catalane
Une réponse au climat méditerranéen
Les emparrats sont nés de la nécessité d’optimiser l’espace cultivable dans les vallées encaissées du Vallespir. Nos anciens vignerons ont compris que la vigne pouvait servir de parasol naturel tout en produisant du raisin. Cette double fonction répond parfaitement aux contraintes du climat méditerranéen : chaleur intense l’été, vents forts et terres calcaires.
L’architecture traditionnelle des mas
Dans les cortals du Vallespir, ces pergolas s’intégraient naturellement à l’habitat rural. Construites en châtaignier des Pyrénées, elles prolongeaient souvent les toitures des maisons basses à voûtes catalanes. Leur hauteur de 2,5 mètres permettait la circulation tout en maintenant l’intimité des cours intérieures, créant des espaces de vie extérieurs protégés.
Le geste précis qui fait la différence
Le choix des cépages adaptés
Les anciens privilégiaient le grenache blanc et noir, variétés résistantes à la sécheresse et produisant un feuillage dense. Le grenache blanc apporte ses notes de fenouil caractéristiques, tandis que le grenache noir offre ses grappes généreuses. Certains ajoutaient du macabeu pour compléter la couverture végétale et diversifier les saveurs.
L’espacement millimétré
La plantation respecte un quadrillage précis de 3 mètres sur 1,5 mètre. Cette géométrie n’est pas anodine : elle permet aux racines de vigne de puiser en profondeur sans concurrencer les légumes plantés en surface. Les tomates, aubergines et haricots à rames trouvent ainsi leur place dans les zones d’ombre partielle, bénéficiant d’une réduction de température de 3 degrés en moyenne.
Comment nos anciens procédaient
Le calendrier précis des plantations
La plantation des vignes s’effectuait entre mars et avril, après les derniers gels. La taille en gobelet traditionnel se pratiquait en décembre-janvier, privilégiant les bois courts pour limiter la production et favoriser un feuillage dense. Cette technique garantit un ombrage optimal dès le mois de juin.
Conseil de mamie Rosa : « Pour que la vigne fasse de l’ombre sans épuiser la terre, il faut tailler court et arroser profond, une fois par semaine seulement, au pied. »
L’association intelligente des cultures
Sous les pergolas, les anciens plantaient les légumes gourmands en eau dans les zones les plus ombragées : tomates cœur de bœuf, aubergines violettes et pois mange-tout. Les haricots à rames grimpaient sur les poteaux, créant une protection supplémentaire. Cette organisation permettait d’économiser l’eau tout en maximisant les récoltes.
L’adapter aujourd’hui dans votre quotidien
Matériaux et construction moderne
Si le châtaignier reste idéal, vous pouvez utiliser des poteaux en acier galvanisé pour la durabilité. L’important est de maintenir la hauteur de 2,5 mètres et l’espacement traditionnel. Certains jardiniers modernes intègrent des pergolas bioclimatiques avec lames orientables, mais la vigne reste le meilleur régulateur naturel de température.
Adaptations pour petits espaces
Même sur une terrasse ou dans un petit jardin, cette technique fonctionne. Comme les cultivateurs de pastèque blanche du Vallespir, privilégiez les variétés locales adaptées. Une seule vigne bien menée peut ombrager 6 mètres carrés et produire 15 à 20 kilos de raisin par an.
Cette sagesse catalane répond parfaitement aux enjeux actuels : économie d’eau, production locale et adaptation climatique. En plantant votre emparrat cette année, vous rejoignez une chaîne de transmission trois fois centenaire. Comme les jardiniers du Conflent avec leurs semis échelonnés, cette technique demande patience et observation. À l’heure où l’ombrage naturel devient essentiel, ces pergolas ancestrales offrent une solution durable et productive pour nos étés de plus en plus chauds.