Ce matin de juin, en grimpant vers les 420 mètres d’altitude du Fort de Bellegarde, la tramontane me gifle le visage avec cette force particulière qui caractérise les hauts du Perthus. Devant moi se dresse cette forteresse pentagonale qui depuis trois siècles surveille le passage entre France et Espagne, gardienne silencieuse d’une frontière qui a tant fait couler d’encre… et de sang.
Quand Vauban sculptait la montagne pour défier l’Espagne
En 1679, quand Louis XIV confie à Vauban la mission de fortifier ce col stratégique, l’ingénieur du Roi-Soleil ne se contente pas de construire : il réinvente littéralement la montagne. Les travaux, menés de 1670 à 1688 sous la direction de Sylvestre Dubruelh, transforment cette colline granitique en citadelle imprenable.
L’exploit technique reste saisissant : un puits de 63 mètres creusé dans le roc pour résoudre l’éternel problème de l’eau en altitude. Une prouesse qui rappelle ce fort pyrénéen à 709 mètres qui cache un escalier souterrain de 765 marches, témoignant du génie architectural militaire de l’époque.
Mais la véritable histoire commence en 1674, quand les Espagnols s’emparent du fort avant sa reconstruction. Une humiliation que les Français effacent l’année suivante, donnant naissance à cette obsession défensive qui caractérise encore aujourd’hui les lieux.
Entre mémoire douloureuse et légendes de contrebandiers
En février 1939, le fort change de visage. Transformé en camp d’internement pour les réfugiés républicains espagnols, il accueille dans des conditions précaires ces hommes fuyant la guerre civile. Cette page sombre de l’histoire catalane résonne avec ce mémorial catalan qui a accueilli 60 000 internés entre 1941 et 1964, rappelant que ces montagnes ont longtemps été refuges et prisons.
Aujourd’hui, en arpentant ces couloirs restaurés, on comprend mieux pourquoi les guides locaux murmurent encore des histoires de passages secrets. Cette région frontalière regorge de mystères similaires, comme ce col à 1506 mètres qui cache des grottes de contrebandiers oubliées, témoins d’un temps où la frontière était plus perméable.
Carnet d’adresses de l’explorateur : mes coups de cœur secrets
Le fort se visite idéalement tôt le matin ou en fin d’après-midi, quand la lumière dorée transforme les pierres en or catalan. Les tarifs de 5€ pour une visite libre et 7€ pour une visite guidée restent dérisoires face à la richesse historique du lieu.
Mon conseil d’ami local : prolongez votre visite par le sentier du Panissars. Cette randonnée de 2 heures vous mène aux vestiges d’un camp romain, offrant des vues spectaculaires sur l’Empordà et le Roussillon. « Aquí es veu tot el món » disent les habitants du Perthus – ici on voit le monde entier.
Pour le déjeuner, l’Auberge du Perthus sert une authentique cuisine catalane où la botifarra amb mongetes rivalise avec les meilleures tables de Perpignan.
Guide du voyageur malin : budgets, transports et bonnes adresses testées
Le fort ouvre ses portes du 1er mai au 31 octobre, accessible uniquement en voiture via la Rue du Fort. Comptez un budget journée de 25€ à 40€ par personne, incluant visite, parking et restauration simple.
L’astuce que je partage à mes proches : visitez en semaine pour éviter l’affluence du week-end et profiter pleinement des explications des guides bénévoles, véritables encyclopédies vivantes de l’histoire locale.
Pour l’hébergement, les gîtes ruraux de la vallée offrent un excellent rapport qualité-prix, avec vue imprenable sur les fortifications illuminées la nuit.
Ce que les guides ne vous disent jamais
Le secret que m’a confié Maria, guide depuis 15 ans
Les fondations du fort reposent sur un ancien château de Jacques II de Majorque datant de 1285. Certains murs médiévaux sont encore visibles dans les soubassements, accessibles uniquement lors des visites spéciales.
L’erreur de débutant que j’ai faite (pour que vous l’évitiez)
Ne sous-estimez pas la météo de montagne. Même en été, prévoyez un coupe-vent : la tramontane peut souffler à 100 km/h sans prévenir.
Ma découverte totalement inattendue
Le fort a servi de décor aux films « La Scoumoune » avec Belmondo et « L’Évadé » avec Charles Bronson. Hollywood aux portes de l’Espagne, qui l’eût cru ?
