« Les Kanyataps de Pere Figueres » exposition

Les Kanyataps de Pere Figueres

Depuis 2004, le chanteur poète Pere Figueres sans rien abandonner de l’art de la guitare et de la voix se consacre également à une activité plastique. On pourrait dire comme ses frères en musique, Pascal Comelade et Gérard Jacquet qui l’ont précédé.

Certains de ses proches pensaient que c’était une foucade, une manière de reposer sa voix et ses doigts. L’option était beaucoup plus prenante. Ses doigts ont oeuvré de plus belle. Un plaisir nouveau de liberté et d’expression l’accompagnait dans cette nouvelle voie. Il ne l’a pas rejeté, bien au contraire. A cinquante ans passés, il s’est pris au jeu jusqu’à se présenter au public. Son nom y grandit, au fur à mesure que son art -qui ne doit rien à quelque scholastique que ce soit se développe. Adoubé en 2012 au sein du Musée d’Art Moderne de Céret, il a attiré l’attention sur lui du magazine bimestriel régional L’Art dans l’Air et du VAP de FR3 Languedoc Roussillon. Ce qui n’est pas de la roupie de sansonnet pour une arrivée dans le territoire de l’Art. D’abord considéré avec malveillance comme un épigone de Claude Massé, le père respecté des “Patots”, parce que comme ce dernier attaché au travail du liège et du bouchon, il a réussi par la sincérité et l’honnêteté de son travail à conquérir et imposer une originalité artistique que Perpignan peut à présent découvrir par cette exposition à la Maison de la Région.

On dit Pere Figuères artiste du bouchon. Ce n’est pas tout à fait vrai. Le bouchon est certes signifiant pour lui, mais comme matériau, liège et comme détourné de ce pourquoi il a été fait: boucher une bouteille. Oui, ce qui l’intéresse c’est très précisément bouchon arraché à sa fonction « naturelle »: fermer le goulot d’une bouteille. Détourné, il est utilisé comme matériau et motif de composition plastique. Le  bouchon utilisé (en catalan « tap »)est ou arraché à son destin sociétal (de l’usine au bouchage/débouchage et à poubelle), ou recyclé pour participer à une stratégie créative… débouchant (sans nul jeu de mots) sur des objets façonnés artistiquement. Des structures, des volumes. Des ensembles plus ou moins complexes. Existant seuls, ou en « populations » , dispersées ou rassemblées. Sculptures et statuettes comme celles que l’on découvre dans cette Maison de la Région. Posées sur une table. Dressées sur le sol. Accrochées à un mur. Généralement autour de la figure humaine. Des pièces de dimensions diverses, pouvant dépasser les tailles humaines. Mais également des gnomes. Leur confection est minutieuse, artisanale, physique. Digitale sans frayer avec le numérique, plaisanterons-nous.

Seuls des doigts qui travaillent la matière (éprouvent sa résistance ou ressentent son abandon) sont inspirés et ont des effets magiques, qui dévoilent un monde jusque là insoupçonné. Monde révé ou monde mémorisé… et que le « jet» ou « saut » du bouchon dans un terrain inexploré, autre que celui de l’écologie, de l’industrie permet d’appréhender. Le contact, avant toute idée. Un empirisme… accoucheur de formes, de signes, de têtes humanoïdes.. Des personnages, des « populations ». On n’est jamais dans la répétition, le clonage du même, mais dans l’appel -toujours risqué- d’un autre. On est dans la fabrique de la différence. Fabrique de héros ou anti-héros de contes. Fabrique de figurines pour jeu d’enfants et d’adultes. C’est ainsi que chez Pere Figueres s’est contituée un ample répertoire, une population de singularités. Les unes d’élaboration assez simple, dépouillée. Les autres à agencement plus complexe.

De petits objets hauts comme trois pommes, et d’autres beaucoup plus grands. Des montages d’éléments, à partir du bouchon de liège. Des structures bricolées dans la préhension sensuelle, tactilo-visuelle, d’un matériau déjà informé, déjà ouvragé, qu’il travaille pour le déplacer dans un autre champ qui serait celui de l’art et de la poésie. Point d’idée pré-conçue, aucun plan d’élaboration, aucune application d’un logiciel tout-prêt. Pere Figueres strie, creuse, fend, détache, rapproche et, ce faisant, déroule avec ses doigts (doigts de guitariste pinceur de cordes, certes) mais l’assentiment de son regard, une histoire, une bande d’images. C’est, soyons-en sûr, ce regard qui décide et oriente, taille, gratte, assemble, fixe. Fait naître! C’est lui qui se meut, et affronte la verticalité (ce défi auquel n’échappe nul sculpteur). Il construit dans le vide de l’espace. Il s’y installe, l’aménage. Il ose l’échasse, approche la colonne, propose, le totem. Il réussit sa figure d’équilibre et d’harmonie. C’est ça: pas uniquement dresser, mais élever sans vaciller. Des pièces (celles par exemple dénommées Kanyataps) à hauteur moyenne d’un mètre vingt. Des pièces de pied en cap. Des pièces sur hampe, lestées au sol par une pierre. Un petit socle, un bambou et (la surprise au bout) cet ouvrage ornemental avec coiffe, nez, menton, langue et oreille qui coiffe le tout. Comme l’épi de blé, de maïs, ou de jonc. Germination, pousse, croissance, maturité… Ce n’est pas une démarche, mais un cycle.

Ne dirait-on pas une découverte de grotesques, de trésors archéologiques. Que sont ces curieuses têtes avec cimier ou capuches? Ces expansions, ces superpositions? Ces personnages, nés des mains créatrices de Pere Figuères ne sont pas tous des moines affables, des gentils de l’Ordre de la Jarretière de Blanche-neige, ni des bons vivants pacifiques que le pas des ans ne ride jamais. Il existe aussi (observez bien, oui de plus près!) des patibulaires, des violents, des figures casquées. En foule, en groupe, en tête-à-tête… Mais Pere Figuères sculpte, scrute et extrait du liège des morphologies, des expressions, des caractères humanisés. La Bruyère utilisait la plume, Pere Figuères c’est avec la lame de couteau et la lime qu’il les met au jour, mais sans désir de pédagogie, sans aucune pointe moralisante. Il compose des faces, des profils à effets parfois cocasses, des situations surréalistes, et enrichit ainsi son carnet de caractères. Il s’en régale, s’en émeut, s’en esbaudit parfois (ne l’entendez-vous pas rire, vous qui dites le connaître si bien?), et règle -sans doute- des comptes par un trait outré du visage, une attitude caricaturale, la représentation d’une bouille de démon ou d’une bouille de bouffon. Rien que des « bouilles », naturellement! (N’est-ce pas là quelque punk grimacier? Et là un athénien vaincu?). L’artiste se distrait en organisant son album anthropologique de « confectionneur » de têtes, ou de masques. En préparant le « casting » d’une comédie humaine sur laquelle toute la passion ludique de notre artiste est investie. Le jeu du bouchon! Un jet, un saut…

Le bouchon (se le rappeler!) croisement de nature (l’arbre, le chêne -liège) et de culture (la bouteille, l’alimentation, la culture). Ce bouchon, souvent donné; le plus souvent de champagne (prestige, sir!). Le bouchon -qui a déjà servi -donc vécu, et le bouchon prêt au service qui est de… boucher, clore. A ceci près que Pere Figueres n’utilise pas l’objet bouchon, qu’il n’en retient que sa matière, sa consistance (le liège, l’aggloméré), ses propriétés et ses qualités. Solidité et légèreté. Attrait visuel, et douceur tactile. L’artiste détourne et transforme. Aucune technologie particulière, sophistiquée: un couteau, des limes, du papier-verre, du fil- de- fer, de la colle. Auune intellectualisation d’objectif à atteindre. Le plaisir d’entreprendre et de dévoiler, dans la séquence, de l’insolite, du poétique, du fantastique, de l’irréel, de l’énigmatique qu’il portera jusqu’à là satisfaction formelle et volumique… Même s’il se refuse à nommer (titrer ou légender) cette créature finale, ou ce groupe de créatures… Même si l’artiste dit ne pas avoir besoin de recourir à la peinture, les nuances de l’aggloméré et les effets de la lumière qui s’y distribue tenant lieu de grâce chromatique. (Cependant la couleur pointe quelquefois dans certaines compositions murales où il utilise en guise de visage des punaises de couleur (bleue ou rouge).

Ces créatures (où n’apparaît pour l’heure aucun élément très prononcé de bestiaire et où la satire n’y a pas la rage) ne sont pas sans évoquer certains motifs de stalles d’église, de chapiteaux ou ou de frises médiévales, des échantillons d’imagerie antique ou exotique. Kanyataps (heureux néologisme à parfum de solidarité avec des territoires), statuettes et bas-reliefs, objets sur la table et compositions murales. La proposition est variée. Le poète chanteur prend le large dans sa nouvelle activité. Il est bon de le suivre. Aujourd’hui, le temps de la visite de l’exposition, imaginons qu’ils nous a entraînés dans une salle de musée de l’Homme, et nous met en présence d’objets premiers, exotiques et populaires et qu’il nous éblouit par la force plastique de leur mystère.

Jaume Quéralt

La Maison de la Région à Perpignan et l’Association Bouchons d’Artistes présentent « Les Kanyataps de Pere Figueres »
Exposition du 30 mai au 17 juin 2016
Vernissage le jeudi 2 juin à 18h30 présenté par Jaume Quéralt
Moment musical le jeudi 16 juin à 18h30

Informations pratiques :
Ouvert du lundi au vendredi
De 9h à 12h et de 14h à 18h.
Entrée libre.

Contact :
Bouchons d’Artistes
Evina Loos
06 27 18 06 90
Mail : contact@bouchonsdartistes.fr
Site : www.bouchonsdartistes.fr