Visite chez l’homme de Tautavel

Plus de 600 000 pièces archéologiques ont été exhumées, des outils, des fragments d'os humains ou d'animaux – Photo © le-journal-catalan.com
Tautavel est un petit village entouré de maquis, de garrigue et de forêts – Photo © le-journal-catalan.com
Tautavel est un petit village entouré de maquis, de garrigue et de forêts – Photo © le-journal-catalan.com

Tautavel, c’est à 30 kilomètres au nord ouest de Perpignan. On dit « Taltehull » en catalan. C’est un petit village plein de charme de près de 950 habitants. Il est entouré de maquis, de garrigue et de forêts. Retiré au fond de la vallée du Verdouble, c’est son isolement qui en fait tout son charme. L’été on apprécie de s’y reposer au calme et à l’ombre douce de ses platanes. La chapelle des Saintes Puelles, la cave de ses vignerons, les ruines de son château féodal et la torre del Far (la sentinelle du Roussillon) ne sont pas ses seuls atouts puisque ce village est connu dans le monde entier pour abriter sur son territoire la Caune de l’Arago, une grotte préhistorique où trouvait refuge, il y a 450 000 ans environ, celui que l’on considère aujourd’hui comme faisant partie des plus anciens européens connus (1). L’homme de Tautavel.

Un cirque naturel à l'écart de l’animation de la plaine du Roussillon – Photo © le-journal-catalan.com
Un cirque naturel à l’écart de l’animation de la plaine du Roussillon – Photo © le-journal-catalan.com

Tautavel a ainsi la chance d’avoir, depuis 1992, un musée qui présente la préhistoire à travers les fouilles réalisées dans cette Caune. On y trouve une reproduction de la grotte ainsi qu’une reproduction à l’identique (l’original est bien à l’abri dans un coffre-fort) du fameux crâne découvert par les équipes d’Henry de Lumley. L’été, le village vit à l’heure préhistorique : des ateliers passionnants initient les plus jeunes à l’art de faire du feu sans briquet ni allumette et à celui de la taille de pierres à l’ancienne.

La rivière du Verdouble traverse une très belle vallée viticole qui se situe dans la partie la plus au sud des Corbières. Au nord de cette vallée du Verdouble on trouve la montagne de la Serre. A l’est les garrigues d’Opoul-Périllos. Au sud l’Agly. Et à l’ouest le synclinal du Fenouillèdes. Et tout cela constitue un cirque naturel de cinq kilomètres de long, de Vingrau jusqu’à Tautavel. Ces deux villages se retrouvent ainsi bien à l’écart de l’animation de la plaine du Roussillon.

Au nord, à peine à 3 kilomètres du centre de Tautavel, se trouve la Caune de l’Arago. Elle est cachée dans une falaise calcaire. Elle surplombe de plus de 80 mètres la plaine. Elle offre donc une vue imprenable et stratégique pour ceux qui y ont séjourné. Ceux-ci ont pu ainsi bénéficier du meilleur point de vue possible sur l’ensemble de la vallée et sur la rivière en contre-bas. Rivière où venaient boire de très nombreux animaux. Les chasseurs du Paléolithique avaient parfaitement choisi leur abri.

Une oasis fraîche et ombragée idéale pour un farniente estival – Photo © le-journal-catalan.com
Une oasis fraîche et ombragée idéale pour un farniente estival – Photo © le-journal-catalan.com

Juste au pied de la Caune de l’Arago, la petite rivière du Verdouble sort des gorges du Gouleyrous et s’élargit pour créer une oasis fraîche et ombragée au beau milieu de la garrigue. La petite grève de galets devient ainsi le lieu idéal pour un farniente estival. De là on peut observer des intrépides pratiquant l’escalade ou des étudiants en préhistoire trier, nettoyer et classer, sous une grande tente, leurs découvertes de la journée. Cette rivière du Verdouble, en contrebas, jamais à sec, fournissait l’eau mais aussi des galets pour tapisser le sol de la grotte et pour servir d’outils. L’environnement un peu plus lointain (jusqu’à 30 kilomètres) pouvait fournir d’autres pierres afin de fabriquer des outils.

Ici, le relief contrasté a connu, suivant les époques, des climats et des végétations bien différents ; il fournissait par conséquent de multiples types de gibier : des animaux adaptés à la rivière comme les castors, d’autres adaptés à la plaine ou à la forêt comme les daims ou les cerfs, ou bien encore adaptés à la steppe comme les chevaux, les bisons, et même les rhinocéros et les éléphants.

Des herbivores vivaient sur les terrains escarpés – des mouflons, des bouquetins – et des bœufs musqués, des rennes sur les plateaux au climat plus rude. Juste en bas de la Caune se trouvait un passage à gué où passaient les troupeaux de gros herbivores. La situation élevée de cette grotte permettait également de se protéger des prédateurs.

Les pierres sont si patinées par les années qu’elles sont très glissantes même par temps sec – Photo © le-journal-catalan.com
Les pierres sont si patinées par les années qu’elles sont très glissantes même par temps sec – Photo © le-journal-catalan.com

La visite de la Caune de l’Arago, pendant les deux mois d’été, sauf le dimanche, est libre et sous la seule responsabilité des randonneurs. Comme le sentier est très escarpé, cette visite n’est pas possible pour les personnes à mobilité réduite. Bien sûr le site appartient à la commune de Tautavel mais il n’est pas aménagé pour des visiteurs en nombre. Il le sera certainement dans les dix années qui viennent. Il faut dire que l’aménagement sera très coûteux notamment du fait de nombreuses parcelles privées jalonnant le chemin pour s’y rendre. Il faudra donc établir une voie d’accès et de parking en rachetant certaines de ces parcelles. Comme le site est classé monument historique (depuis 1965) il faudra construire dans la grotte une passerelle et une plate-forme sans toucher au site des fouilles. Sur la photo ci-contre on voit le type de rochers qu’il faut escalader puis redescendre.

Pour l’instant le site est peu indiqué, il faut vraiment chercher le début du chemin d’escalade. Escalade assez risquée car il n’y a, le long du chemin, ni rampe ni main courante auxquelles se raccrocher en cas de déséquilibre et les pierres, qui font office d’escalier, sont si patinées par les années qu’elles sont très glissantes même par temps sec. On doit donc s’équiper de bonnes chaussures anti-dérapantes. On imagine combien la descente peut se révéler périlleuse.

La Caune de l'Arago est toujours un chantier de fouilles. Chaque été, jusqu’à la dernière semaine du mois d’août, des équipes déblaient les différentes couches stratigraphiques  – Photo © le-journal-catalan.com
La Caune de l’Arago est toujours un chantier de fouilles. Chaque été, jusqu’à la dernière semaine du mois d’août, des équipes déblaient les différentes couches stratigraphiques – Photo © le-journal-catalan.com

Lorsque ce chemin d’accès sera mis aux normes de sécurité, la visite se fera alors sous la responsabilité du musée et du centre de recherches mais rien ne sera décidé tant que des fouilles seront en cours. Il faut comprendre que tout reste encore à découvrir sur les plus anciens habitants de cette caverne, habitants qui ont occupé le site entre – 600 000 et – 700 000 ans. En poursuivant les recherches, on devrait découvrir d’autres restes humains plus anciens que ceux connus actuellement.

La cavité, but de notre escalade, a une longueur d’une trentaine de mètres, elle devait en faire au moins 120 dans les temps préhistoriques. Elle est large d’une dizaine de mètres. A l’origine, l’ouverture était dirigée vers l’est, aujourd’hui elle est ouverte vers le sud. Une bonne partie du plafond s’est effondrée et le fond s’est comblé petit à petit au fil du temps. La caune de l’Arago a déjà fait l’objet d’études dès 1838 par Marcel de Serres qui a pu y identifier la faune. Et, en 1948, des recherches menées par Jean Abélanet ont permis de mettre à jour une industrie lithique. Quinze ans plus tard, Henry de Lumley visite la grotte et décide d’y entreprendre des fouilles méthodiques. Pendant sept années, des équipes venues du monde entier s’y succèdent pour parvenir, le 22 juillet 1971 à 15h00, à la mise à jour d’une partie de crâne humain : c’est l’Homme de Tautavel.

Plus de 600 000 pièces archéologiques ont été exhumées, des outils, des fragments d'os humains ou d'animaux – Photo © le-journal-catalan.com
Plus de 600 000 pièces archéologiques ont été exhumées, des outils, des fragments d’os humains ou d’animaux – Photo © le-journal-catalan.com

La richesse de la caune de l’Arago est due aux bouleversements géologiques. En se colmatant pour ne se rouvrir qu’entre 30 000 et 15 000 ans avant notre ère, la caune a piégé les vestiges et la culture des hommes de -700 000 à -100 000 ans. Elle a été remplie de plus de quinze mètres de sédiments, roches et débris, et, en 50 ans de fouilles, ce sont plus de 600 000 pièces archéologiques qui y ont été exhumées, des outils, des fragments d’os humains ou d’animaux. La richesse de ces vestiges donne quantité d’informations sur les hommes préhistoriques qui ont vécu là, mais aussi sur les animaux et les plantes, ainsi que les climats contrastés qui se sont succédés dans la région pendant ces 600 000 ans.

Henry de Lumley : « En 50 ans de fouilles, aidés par des chercheurs venus du monde entier, ce sont, entre autres, 147 restes humains fossiles que nous avons pour l’instant mis à jour. Ces restes humains fossiles font partie des plus anciens découverts en Eurasie et les plus anciens mis à jour sur le territoire français. Ça nous permet de suivre l’évolution de l’Homme pendant 600 000 années. L’histoire de son comportement, de son mode de vie, et de son adaptation à son environnement. »

Il y a deux ans, lors de l’été 2013, en l’espace de quelques semaines, sept dents isolées, une partie de mandibule, un sacrum et un fémur complet: ont été mis à jour dans cette grotte. Un cru 2013 exceptionnel pour les paléontologues. « C’est une année extraordinaire. On n’en avait jamais trouvé autant en si peu de temps » s’est réjoui le préhistorien Henry de Lumley, âgé de 81 ans.

Avec un peu de chance, vous pourrez assister sur place à un cours de préhistoire d’une heure et quart, prodigieusement captivant, délivré par un des responsables des fouilles – Photo © le-journal-catalan.com
Avec un peu de chance, vous pourrez assister sur place à un cours de préhistoire d’une heure et quart, prodigieusement captivant, délivré par un des responsables des fouilles – Photo © le-journal-catalan.com

Actuellement la Caune de l’Arago est, répétons-le, toujours un chantier de fouilles. Chaque été, jusqu’à la fin du mois d’août, des équipes de chercheurs déblaient et nettoient minutieusement les différentes couches stratigraphiques. Il n’y a pas à proprement parler de visite organisée : les chercheurs sont au travail. L’idéal est d’y parvenir un peu avant 16H00 et là, avec un peu de chance, vous pourrez assister sur place à un cours de préhistoire d’une heure et quart, prodigieusement captivant, délivré par un des responsables des fouilles, détaché de l’université de Perpignan et préparant une thèse sur l’étude de l’outillage de la Caune de l’Arago et de son environnement. Evocation de la faune, de la flore de cette vallée il y a 700 000 ans, des variations de climat, de la population et de ses habitudes, ainsi que de la chronologie des découvertes et des perspectives futures, etc. Un exposé passionné et éblouissant.

Mais, cet homme de Tautavel, alors ? Eh bien, c’est un jeune homme, mort vraisemblablement dans cette Caune de l’Arago. Il s’appelle Homo erectus européen, ou Homo heidelbergensis ou encore « Arago XXI » car en fait c’est le 21ème fossile humain sorti de la caverne. Il a les mâchoires saillantes, le crâne bas, le front fuyant. Il possède de gros bourrelets sus-orbitaires. On trouve d’abord une dent. On voit que c’est une dent humaine. On gratte et on aperçoit une seconde dent. On cherche un peu à gauche et on trouve la troisième et la deuxième molaires droites. Après, on dégage le palais. On a besoin de 20 jours de travail pour dégager le crâne à la fraise de dentiste et au poinçon. Le crâne repose sur son sommet, les maxillaires en l’air. Il a peut-être été fracturé pour que le cerveau soit prélevé suivant un rite cannibale. Nul ne peut en être sûr. Au début on croit que ce crâne est vieux de 200.000 ans. Et puis, grâce aux nouvelles méthodes de datation on s’aperçoit que l’Homme de Tautavel est âgé d’environ 450 000 ans.

A huit centimètres à peu près en bas du poignet de cette jeune chercheuse, près du gobelet en plastique, on peut deviner une partie d’une mandibule portant des dents de lait. En bas, dans la partie droite de la photo, on observe également un fragment de tibia – Photo © le-journal-catalan.com
A huit centimètres à peu près en bas du poignet de cette jeune chercheuse, près du gobelet en plastique, on peut deviner une partie d’une mandibule portant des dents de lait. En bas, dans la partie droite de la photo, on observe également un fragment de tibia – Photo © le-journal-catalan.com

(1) Notons qu’une dent de lait remontant à 586 000 ans a été mise à jour, à l’été 2014, en Italie, qu’une mandibule humaine a été découverte en Allemagne, au tout début du XXème siècle, près de Heidelberg, avec une attribution chronologique de 600 000 ans et qu’un crâne vieux de 700 000 ans (datation controversée) a été trouvé dans une grotte de Petralona dans le nord de la Grèce. Enfin, des fragments de crâne vieux de 1,8 million et de 1,3 million d’années ont été également mis au jour à Dmanisi, en 2005, en Géorgie et à Atapuerca en Espagne.

Voir aussi : Musée de Tautavel
Centre Européen de Préhistoire
Avenue Léon-Jean-Grégory
66720 TAUTAVEL

 

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