Expo-événement à la villa Duflot : un Picasso II !

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La Villa Duflot se met à l’heure de l’été et accueille du 8 juin au 25 août 2017 l’artiste Jean-Baptiste des Gachons qui a choisi pour maître Picasso !

Pour son diplôme obtenu en 2002 à la Villa Arson, il a peint de grands tableaux sur bois, inspirés de l’actualité. Le format est en adéquation avec la force de l’événement. Un 11 septembre retentissant est ainsi réalisé. Jean- Baptiste des Gachons ne craint pas les grands formats, il les aime, il a le sens de l’épique. A l’instar de Picasso, il n’est pas effrayé par l’épopée, il se l’approprie. Par la suite viendront des autoportraits, des tableaux d’inspiration religieuse, des « d’après » : D’après la peinture italienne, Giotto, Masaccio, Paolo Ucello. Lorsqu’il aime, il s’approprie. « D’après » Georges de la Tour, Dali, Basquiat, pas de hiérarchie, juste l’amour des formes et des couleurs, l’amour de la peinture, le langage élu.

Depuis 2012, il s’est choisi pour maître Picasso
Un premier opus, paru en 2015 chez le même éditeur, explorait cette relation et cette audace de Jean-Baptiste. Portraits de Corina et de Marie-Thérèse, et, excusez du peu, Guernica flamboyant, dont la terreur et la fureur, à l’origine monochromes, hurlent de couleurs pures. Depuis, le jeune peintre n’a cessé de parcourir avec avidité d’autres livres, d’autres catalogues. Picasso est plus que jamais son mentor. Comme plus d’un million de visiteurs, il s’est rendu à Paris à la découverte fabuleuse de la collection Chtchoukine, exposée en cet hiver 2016/2017 à la Fondation Vuitton. Ce nouveau navire après celui de Bilbao dont les voiles de verre ont été posés sur le bois de Boulogne par Frank Gehry, met en scène une autre histoire de regard. Celui, ô combien avisé et précurseur, du collectionneur russe Sergueï Chtchoukine, qui rassembla entre 1898 et 1914 les chefs-d’œuvre absolus d’artistes encore largement méconnus voire incompris, méprisés. Parmi eux, Picasso. Jean-Baptiste n’a d’yeux que pour lui. Sont exposés là deux chefs-d’œuvre du premier cubisme, dit cézannien. L’amitié, début 1908 (collection Chtchoukine, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg).

Deux figures soudées, que la rudesse et la solidité géométriques de leurs formes n’empêchent nullement de s’épauler tendrement. Femme tenant un éventail, été 1908 (collection Chtchoukine, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg). La figure à la féminité anguleuse, à l’épaule et au sein découvert, ne renonce cependant en rien à la grâce du geste qui tient l’éventail. Les deux tableaux sont composés dans une gamme chromatique restreinte de bruns, d’ocres, de noirs, rehaussés de blanc. « De la couleur, dira un peu plus tard Georges Braque, il n’y avait que le côté lumière qui nous préoccupait : la lumière et l’espace sont deux choses qui se touchent et nous les menions ensemble ». Sur les tableaux réinterprétés par Jean- Baptiste, la proposition s’inverse : De la lumière, le jeune peintre ne retient que la couleur.

Face à son exubérance, les formes semblent comme assagies, polies, presque tendres. La couleur est maîtresse. Elle est l’expression. Les membres qui unissent, saisissent, sont d’un jaune éclatant, volent notre attention, nous attirent à eux. Les fonds sont verts, couleur de la chance et du hasard, bannie des salles de spectacle et symbole des salles de jeu où le destin joue ses cartes. Les regards – tout est affaire de regard – sont tonitruants, d’un orange qui perce la toile. Ouvrons la double page. Retour à l’épopée. Les Ménines. Celles-la même qui ont fait couler tant d’encre, dont la surface picturale usée par tant de regards demeure aujourd’hui miraculeusement intacte. L’œuvre a gardé son attrait et son mystère. Car selon les dires fameux d’un historien de Vélasquez, « le temps n’épuise pas Les Ménines, il les enrichit ». Bon prince, Jean-Baptiste a placé deux clés sur le haut du tableau, il les a même choisies pour le bandeau en couverture du présent livre. Il est – avec Picasso – l’un des rares observateurs à avoir remarqué la présence de ces deux points sombres
au plafond, dans la moitié supérieure du tableau, exempte de personnages, de vie, de lumière. Comme Picasso, il a par ailleurs d’emblée élu l’infante, tache lumineuse entre toutes le tableau n’eût-il pas vocation à son époque à désigner la filiation et la transmission du trône à celle qui aurait pu demeurer seule héritière ? Revenons aux Ménines de Jean-Baptiste. Le jaune est partout, proche d’un bleu violacé, complémentaire. L’orange côtoie le carmin, rehaussé par les touches de vert, complémentaire. Jean-Baptiste marche dans les pas de son maître. Le blanc : quelques visages dessinés comme au sortir de l’enfance, une source picassienne.

Ce sont ces visages que Jean- Baptiste va retenir, isoler, dont il va s’emparer et jouer comme on le ferait de grotesques. La gouvernante Marcela de Ulloa et le garde sis à ses côtés pendants plastiques du couple royal chez Vélasquez, injustement oubliés par l’histoire – en auraient sans doute été flattés. Picasso, enchanté. Tout dans la peinture est affaire de regard avant tout de regard. Inspiré du Buste de femme de 1907 de Picasso (Musée national d’art moderne, Paris) – yeux et cheveux noirs, robe grise, nez sombre le regard est de cette couleur orange qui perce la toile. Il est cerné de blanc auréolé de sainteté ? Le visage est du vert de l’incertitude. Le nez est une arête. Le lobe de l’oreille est dessiné de jaune. Oser évoquer Van Gogh ? La peinture de Jean-Baptiste est aussi une souffrance. « Au moment où ils placent le spectateur dans le champ de leur regard, les yeux du peintre le saisissent, le contraignent à entrer dans le tableau, lui assignent un lieu à la fois privilégié et obligatoire, prélèvent sur lui sa lumineuse et visible espèce, et la projettent sur la surface inaccessible de la toile retournée » (Michel Foucault, Les mots et les choses, 1966).

Jean-Baptiste nous donnera-t-il les clés qui déjà – nous ont ouvert des portes ?
Extrait du texte de Nathalie GALISSOT // Directrice et
Conservatrice en Chef du Musée d’Art Moderne de Céret.